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furibonde contre la civilisation, contre la société, contre l’art. « Je vous dis, s’écria-t-il, que, pour rajeunir et renouveler votre société corrompue, il faut que ce beau fleuve soit rouge de sang, que ce palais maudit soit réduit en cendres et que cette vaste cité où plongent vos regards soit une grève nue où la famille du pauvre promènera la charrue et dressera sa chaumière. »

Sans jamais aller aussi loin que Michel de Bourges dans ces rêves de destruction sociale, George Sand n’en subit pas moins l’influence de ces déclamations et se trouva peu à peu enrôlée, elle, femme et artiste, dans la croisade révolutionnaire. Par l’intermédiaire de Michel de Bourges, elle entra en relations avec tout l’état-major républicain et socialiste ; elle fut tenue au courant de leurs conciliabules lors du procès d’avril, et avait même été un instant chargée de préparer la rédaction de la fameuse lettre adressée à la pairie par les défenseurs des accusés. Néanmoins ce ne fut que quelques années plus tard et sous l’influence, non pas de Michel de Bourges, mais de Pierre Leroux, qu’elle mit délibérément sa plume au service des utopies socialistes. Michel de Bourges n’avait pas de doctrines ; il n’avait que des haines. Il n’en était pas de même de Pierre Leroux, qui se croyait en possession d’une théorie nouvelle de la propriété, comme il se croyait l’apôtre d’une religion future. On nous saura gré, tant ces questions ont vieilli, de ne pas exposer ici cette théorie, qui aboutissait en définitive à un communisme assez brutal, et dont George Sand elle-même avouait plus tard n’avoir pas bien compris tous les points. Mais Pierre Leroux n’en eut pas moins l’art de ranger George Sand au nombre de ses prosélytes et de l’enrôler parmi les collaborateurs de la Revue indépendante, qu’il fonda en 1841. Jusqu’à cette époque, et depuis la publication d’Indiana, c’était dans la Revue des Deux Mondes qu’avaient paru celles des œuvres de George Sand qui sont restées les plus célèbres : Lélia, André, Leone Leoni, etc. Mais elle se brouilla avec la Revue, à propos du roman d’Horace, dont l’insertion lui fût refusée. Ce roman contenait une glorification de l’union libre, et une apologie de l’émeute du cloître Saint-Merry, qui ne pouvaient convenir à la direction de la Revue. Horace n’est cependant qu’une satire assez amère, mais parfois assez juste, des ridicules de la jeunesse bourgeoise, opposée par George Sand à la simplicité vertueuse de l’homme du peuple. Ce n’est pas un roman social, c’est encore un roman de mœurs. Il n’en est pas de même du Meunier d’Angibault, du Compagnon du tour de France, du Péché de M. Antoine, qu’elle fit successivement paraître dans la Revue indépendante et qui forment assurément la partie la plus faible et la plus pénible à relire aujourd’hui de l’œuvre volumineuse de George Sand. Quel ennuyeux personnage que ce meunier qui sait tout d’instinct sans avoir jamais rien appris,