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aurait pu nous imprimer un mouvement dans le sens du progrès. » Il lui fallut quelque temps pour s’apercevoir que la logique du 2 décembre n’était point le progrès tel qu’elle l’entendait ; mais, tout en désapprouvant le régime impérial et ses procédés, elle conservait une certaine sympathie pour l’homme qui en était la personnification. Elle se sentait quelque attrait pour cette nature sceptique et rêveuse, singulier mélange de bon et de mauvais, qui méritera de fixer un jour l’attention de l’historien. Pendant toute la durée de son règne, elle n’évita pas les relations indirectes avec l’empereur, et par les relations comme par le cœur elle se rapprochait assez de ce que Sainte-Beuve appelait le petit parti de la gauche de l’empire. Dans le journal qu’elle a publié au lendemain de la guerre, à cette époque où il était de mode d’accumuler sur une seule tête des responsabilités multiples et de faire oublier par la violence des injures la bassesse des adulations, elle conserve en parlant de l’empereur une certaine gravité équitable et triste. Je ne connais pas au reste de pages qui fassent plus d’honneur au cœur et au bon sens de George Sand que ce Journal d’un voyageur pendant la guerre. On sent que pendant ces six mois elle a palpité de toutes les angoisses, de toutes les espérances, de tous les héroïsmes qui ont fait palpiter le sein de la France. On y trouve aussi l’expression vigoureuse de l’opinion qui était alors celle de tous les gens de bon sens sur ce singulier personnel politique qui s’était emparé de la direction de nos affaires. Avec quelle verve elle raille ce règne de la phrase et de la déclamation, avec quelle indignation elle signale ces prétentions dictatoriales et ces velléités de tyrannie ! « La France n’est pas si lâche, s’écrie-t-elle, qu’il lui faille avoir un professeur de courage et de dévoûment devant l’ennemi. Tous les partis ont eu des héros dans cette guerre, tous les contingens ont fourni des martyrs. Nous avons bien le droit de maudire ceux qui se sont présentés comme capables de nous mener à la victoire, et qui ne nous ont menés qu’au désespoir. Nous avions le droit de leur demander un peu de génie, ils n’ont même pas eu de bon sens. » Aujourd’hui que la conséquence logique des choses nous menace de ramener au pouvoir ce personnel politique, il est bon de ne pas laisser oublier comment son court passage aux affaires a été jugé par un juge au moins impartial, et, aussi bien pour nous préserver des dangers du présent que pour nous mettre en garde contre ceux de l’avenir, il importe d’avoir présente à l’esprit cette sentence dont les malheurs de la France arrachaient à George Sand l’expression peut-être un peu amère : « Ce sont deux malades : un somnambule et un épileptique, qui ont consommé la perte de la France. »