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littérature ait produits, à Chateaubriand et à Rousseau, sans que ce soit pour la mettre au-dessous. Chateaubriand, c’est tantôt la splendeur de la savane, peinte avec des couleurs plus brillantes-peut-être que vraies, et tantôt la tristesse du nord, décrite d’un trait sobre et rapide ; c’est le geai bleu du Meschacébé et la non-pareille des Florides, c’est l’étang désert où le jonc flétri murmurait ; mais le détail de la nature, avec son charme et sa variété, n’apparaît pas au coup d’œil distrait et rapide du grand ennuyé. Rousseau, c’est surtout l’éclat et la vérité dans le détail ; c’est l’or des genêts et la pourpre des bruyères, le clapotement de l’eau contre les cailloux de la rive, le frémissement argenté du lac sous les rayons de la lune ; mais à sa vue un peu incertaine l’ensemble ne se révèle parfois que par des lignes pâles et confuses. — George Sand, c’est à la fois l’ensemble et le détail, ou pour mieux dire, c’est la nature elle-même, la nature brute et sauvage avec son éclat, son exubérance, sa grâce, sa grandeur, ses détails trop infinis, ses couleurs trop éclatantes pour nos yeux. C’est la beauté de l’eau et ses pures harmonies, tantôt blanche comme le lait lorsqu’elle mousse et bondit contre les rochers, tantôt verte comme l’herbe qu’elle couche à peine sur son passage, tantôt bleue comme le ciel paisible qu’elle réfléchit. C’est la plaine unie et morne qui déploie ses perspectives infinies où le soleil en s’abaissant projette l’embrasement de ses vastes lueurs, c’est l’aurore dont les rayons montent comme des flammes derrière de grands rideaux de peupliers qui n’en reçoivent rien encore et qui se dessinent en noir sur la fournaise. Mais c’est aussi les flocons de neige qui au moindre souffle du vent tombent silencieusement des branches des vieux ifs, les fleurs des lauriers-roses qui, se détachant de leur étroit calice, jonchent la dalle blanche d’un tombeau, et les plantes microscopiques engendrées par l’humidité qui colorent les ruines et les constructions souterraines. Tout est vu, tout est senti, tout est rendu. Jamais la nature n’a été aussi bien comprise et autant chérie, sous des aspects aussi différens, comme une amie qui aurait le secret et la compassion de nos douleurs, comme une puissance mystérieuse dont on étudierait avec une crainte mêlée de tendresse les secrets redoutables, comme une divinité secourante à laquelle on demanderait avec confiance l’oubli et le repos. Parfois en effet George Sand semble aspirer dans l’ivresse de son admiration à une sorte d’anéantissement dans le sein de cette nature aimée et à l’absorption de son être dans le grand tout. « Il y a des heures, disait-elle, où je m’échappe de moi, où je vis dans une plante, où je me sens herbe, oiseau, cime d’arbre, nuage, eau courante, horizon, couleur, forme et sensations changeantes,