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berrichonnes n’y feront rien. George Sand a également tiré du roman de Mauprat un drame assez mal construit, mais où il y a de belles scènes, et une des œuvres les plus charmantes de sa vieillesse, le Marquis de Villemer, lui a fourni le sujet d’une pièce qui fait regretter plus d’une fois le détail plein de charme du roman, mais où la rivalité des deux frères, combattus par leur affection, donne naissance à une situation dramatique. On devine que cette fois George Sand s’est fait aider par la main d’un maître. Malheureusement elle n’a point su borner son ambition à faire monter sur la scène les personnages de ses romans. Elle a essayé ses forces dans tous les genres, dans la comédie, dans le drame historique, dans le mélodrame, et nulle part, à mon gré, elle n’a complètement réussi.

Dans la comédie proprement dite, il lui manque une chose essentielle : la gaîté. Chose singulière, cette femme si généreusement douée n’avait pas d’esprit. Elle-même avouait avec bonhomie qu’elle en manquait totalement dans la conversation, et j’ai ouï dire en effet qu’elle ne s’exprimait guère que par tirades éloquentes, entrecoupées d’assez longs silences, sans posséder ce don si français de rendre sa pensée sous une forme vive et saillante. Dans ses romans, la plaisanterie est un peu lourde ; dans ses comédies, le rire ne vient pas facilement aux lèvres ; la vis comica lui fait absolument défaut pour peindre le ridicule. Elle n’a pas mieux réussi dans ses drames historiques, dont la couleur n’est pas vraie. Quand elle mettait Molière en scène, c’était pour faire de lui un précurseur de la révolution de février, et pour mettre dans sa bouche un langage dont la solennelle prudhomie était digne, en effet, d’un membre du gouvernement provisoire. Enfin, dans ses mélodrames, elle n’arrive pas à l’émotion, et c’est vainement qu’elle a recours au poignard et au poison, comme dans Cosima ; le spectateur s’en va froid et ennuyé. Il serait injuste cependant de ne pas lui reconnaître, dans presque toutes ses œuvres dramatiques, une qualité qui lui fait trop souvent défaut dans ses romans, et qu’avec un critique éminent, beaucoup plus indulgent que moi pour le théâtre de George Sand, j’appellerai : la bienséance[1]. On dirait que, femme et artiste, elle se sent prise en présence du public d’une timidité qu’elle ne connaît pas la plume à la main, et que la crainte de choquer l’oreille la fait reculer devant l’emploi de certaines expressions dont elle se sert librement en écrivant. Dans ses pièces, les femmes, les jeunes filles surtout, se servent d’une langue plus châtiée et plus délicate que dans ses romans ; elles n’ont point de ces hardiesses d’aveu et de ces franchises

  1. Voyez, dans la Revue du 15 mars 1864, l’étude de M. Émile Montégut sur le Marquis de Villemer.