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j’extrais ces lignes est un de ceux où sa pensée paraît avoir flotté le plus incertaine entre des affirmations contradictoires. Ces contradictions inspireront peut-être quelque pitié à ceux qui se piquent, sans toujours y réussir, d’apporter une grande rigueur dans l’exposé de leurs doctrines philosophiques ; mais cette pitié est-elle tout à fait fondée ? « Il faut, disait Mme d’Arbouville, savoir faire la place en nous pour un certain contraire. » Dans ces matières ardues, la place faite à un certain contraire ne montre-t-elle pas plus d’intelligence des choses que l’absolu de ces systèmes dont les auteurs prétendent vous révéler le secret du monde ? N’est-ce point, après tout, l’état auquel se trouvent réduits beaucoup d’esprits sincères lorsqu’ils ont renoncé à demander à la foi un supplément aux argumens de la raison ? Du moins, au milieu de ces incertitudes, George Sand n’a jamais varié dans la vivacité de ses protestations contre l’étroitesse du dilemme qu’on s’efforce de resserrer aujourd’hui entre les espérances de la révélation et les négations de la science. Peut-être eût-elle été embarrassée de dire au nom de quelle école elle faisait entendre cette protestation ; mais elle n’hésitait pas à élever la voix pour demander qu’on ne laissât pas au christianisme l’honneur de demeurer la seule doctrine qui répondit aux instincts spiritualistes de l’humanité et qui pût sauver du naufrage « l’âme immortelle, la divinité personnelle, l’avenir infini, les cieux ouverts, ces trésors de l’idéalisme. » Elle s’inquiétait d’autant plus à la pensée de voir disparaître toute doctrine intermédiaire entre le matérialisme et la foi, qu’à cette inquiétude se mêlait une part de préoccupations politiques. Elle savait bien que, pas plus que l’homme, les peuples ne vivent seulement de pain, et elle n’admettait pas un orgueilleux divorce entre les intelligences, qui laisserait au plus grand nombre la consolation des superstitions crédules et qui nourrirait exclusivement quelques intelligences d’élite des réponses de la vérité scientifique. La question religieuse demeurait à ses yeux un des côtés de la question sociale, et à défaut des améliorations dans sa condition matérielle qu’elle avait un peu imprudemment promises au peuple, elle ne pouvait se résigner à lui voir enlever l’espérance des consolations futures. Jusqu’à quel point elle avait poussé les illusions de son optimisme humanitaire, c’est ce que va nous montrer l’étude de quelques-uns de ses romans que je n’ai point encore abordés, et on comprendra qu’après avoir tant demandé pour le peuple en cette vie, elle ne pût accepter la pensée qu’il n’eût rien à attendre de l’autre.

Othenin d’Haussonville.