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Développement du fonctionnarisme. — Le rachat général de tous les chemins de fer et leur exploitation par l’état satisferaient te penchant qu’une partie de notre pays a toujours eu pour le fonctionnarisme. Avoir une place, même une petite place, est l’ambition d’un grand nombre de Français ; on n’a pas grand’chose à faire, on avance doucement, on a use retraite, on n’a pas de responsabilité, la chose se dit bien couramment et sans aucun regret.

Un écrivain humoristique anglais a placé les principales scènes de son roman dans une petite ville française de 6,000 âmes, et il donne la nomenclature des fonctionnaires de tout ordre qui en. forment pour ainsi dire toute la population. Cette nomenclature n’est que trop vraie ; il est bien fatale de l’appliquer à un grand Hombre de nos préfectures où, en dehors des fonctionnaires de la colonie, — c’est le mot consacré, — et des fournisseurs qui les font vivre, il n’y a plus que quelques bourgeois étonnés de leur solitude. Faut-il, à cette liste si longue de l’écrivain anglais, ajouter un nouveau groupe : M, le chef de gare et MM. ses sous-chefs. M. le chef de dépôt des machines, M. le chef visiteur des voitures et tous leurs subordonnés ? Faut-il poursuivre ce but suprême : diviser la nation en deux groupes, les fonctionnaires et les administrés ?

Dans une compagnie, un chef de gare reste dix ans, quinze ans, vingt ans, dans la même ville ; il connaît tout le commerce, son influence personnelle amène dans les incidens de chaque jour des transactions heureuses et faciles ; mais il n’est point victime de cette immobilité, il avance sur place, et ses appointemens s’élèvent avec ses services. Transformé en fonctionnaire public, le chef de gare deviendra absolument indifférent aux choses et aux hommes d’une localité dans laquelle il se considère comme un étranger. Attendant son avancement de la faveur ministérielle ou d’un service politique, un chef de gare qui, pour obtenir une augmentation de 150 ou 200 francs, irait de Dunkerque à Perpignan ou de Brest à Belfort, se souciera fort peu du développement commercial ou industriel d’un pays dans lequel le hasard l’a jeté ; il siégera dans un bureau vitré, parlera aux négocians à travers un grillage ou une trappe de 0m,25 sur 0m,35 et consultera l’Annuaire pour savoir si l’heure de son avancement approche.

Nous avons visité, il y a une vingtaine d’années, les chemins de fer de la Lombardie et de la Vénétie, peu de temps après la cession de ces lignes à une société dirigée par des ingénieurs français. Le personnel des gares avait été nommé par les gouvernemens piémontais ou autrichien. Sur plusieurs points, le trafic des marchandises était à peu près nul ; les gares conseillaient bien tranquillement au commerce de se servir des voies navigables. Les mêmes