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récemment sillonnées d’un nouveau réseau de voies dites d’exploitation forestière.

Comme il est toutefois dans la destinée des souverains en voyage de ne guère voir que la surface des choses, il est à propos de se demander si les préoccupations trop exclusivement militaires dont l’Allemagne est aujourd’hui agitée n’ont pas exercé une influence fâcheuse sur la situation présente de l’Alsace-Lorraine et s’il n’y a pas plus de vérité dans les assertions un peu sombres de MM. Bezanson et Grad que dans les harangues trop embellies de tous les fonctionnaires prussiens.

I.

Quand il s’agit des intérêts vitaux de l’Alsace-Lorraine, les puissantes industries qui sont la gloire de cette province se présentent les premières à l’esprit. C’est, en Lorraine, l’industrie métallurgique ; dans le Haut-Rhin, l’industrie cotonnière ; puis, un peu partout, gravitant autour de ces deux grands groupes dont elles tirent en partie leur propre raison d’être, cent autres industries de moindre importance, qui avaient peu à peu fait de ce territoire un des plus actifs foyers de production industrielle du continent. Était-ce vertu native ? En Lorraine peut-être, où s’est surtout développée l’industrie minière et métallurgique, mais non point en Alsace, dont la situation géographique, peu différente de celle de nos cantons suisses limitrophes, était défavorable à bien des égards, car il lui fallait faire venir de loin et le charbon nécessaire pour alimenter ses machines et les matières premières mises en œuvre par ses métiers. De plus, dans ce pays agricole et industriel à la fois, où le gagne-pain n’a jamais fait défaut à l’ouvrier laborieux, la main-d’œuvre était naturellement chère. Si néanmoins l’industrie alsacienne avait réussi à prendre un développement si prodigieux que la production cotonnière de la Haute-Alsace représente à elle seule une force productive presque égale à celle de l’Allemagne tout entière, c’est que les fabricans alsaciens possédaient dans le marché français un consommateur insatiable et riche, qui se montrait beaucoup plus sensible à la perfection des produits qu’au faux attrait du bon marché.

Au contact du goût français, la main-d’œuvre alsacienne, qui avait trouvé tout avantage à se plier aux exigences d’un acheteur payant vite et bien, en monnaie universellement recherchée, était devenue trop précieuse pour avoir eu besoin de chercher autour d’elle d’autres débouchés. Aussi, quand les fabricans de la Haute-Alsace se sont vus contraints tout à coup, par le déplacement de la ligne douanière, de se retourner vers l’Allemagne, ils se sont trouvés en face d’un marché absolument inconnu à la plupart d’entre eux, déjà