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rôle qu’on leur faisait. Ils ont repris leur liberté, selon l’euphémisme consacré, ils se sont retirés sous leur tente en petit bataillon serré de vingt-deux sénateurs. Ils forment aujourd’hui un groupe indépendant, libre de choisir sa direction, de prendre position dans la carrière parlementaire.

Les constitutionnels, en réalité, n’ont fait que saisir l’occasion qui leur a été offerte, et, si quelque chose peut étonner, ce n’est pas qu’ils revendiquent aujourd’hui seulement une indépendance dont ils peuvent faire un usage efficace et fructueux pour le pays, c’est qu’ils aient tant tardé, qu’ils n’aient pas accompli plus tôt une évolution inévitable. Que les constitutionnels qui, par leurs opinions et leurs traditions, sont des partisans du régime constitutionnel sous la forme monarchique, aient été il y a quelques années, au lendemain des désastres de 1870, les alliés des légitimistes tant qu’il y avait quelques chances pour une sorte de rétablissement légal de la monarchie, c’est assez naturel. La cause paraissait commune entre eux, elle l’était jusqu’à un certain point, à la condition que la royauté traditionnelle et les institutions parlementaires restassent inséparables. La destinée définitive du pays restait en suspens, et une assemblée souveraine gardait la liberté de se prononcer. Le jour où la restauration s’est trouvée décidément irréalisable parce que le roi a manqué, et où la république est devenue le seul régime possible parce que le pays ne pouvait rester indéfiniment dans un provisoire mortel, le jour où une organisation politique a été adoptée et promulguée, la conduite des constitutionnels était tracée d’avance. Il n’y avait de leur part ni défection, ni trahison, ni abdication, il n’y avait que l’acceptation simple et loyale de ce qu’on n’avait pu empêcher, de ce qui n’était que l’expression d’une irrésistible nécessité. Les constitutionnels n’avaient plus qu’un rôle logique et utile, c’était de ne pas marchander sournoisement avec la force des choses, de se placer sur le seul terrain où une action sérieuse pût être exercée, de rester on un mot le noyau du vrai parti conservateur dans la république nouvelle que l’assemblée souveraine elle-même venait de voter. Demeurer avec la France, avec son drapeau, avec sa constitution, c’était désormais l’unique condition possible d’une politique conservatrice sensée, éclairée et probablement efficace. Pour les constitutionnels, il n’y avait pas d’autre rôle ; en le prenant avec résolution dès le premier moment, ils auraient pu tout changer.

Ce qu’ils n’ont pas fait il y a deux ou trois ans, ils le font aujourd’hui, et, s’il y a eu du temps perdu, il y a d’un autre côté l’avantage d’une expérience aussi instructive que saisissante. Les événemens ont montré. en effet ce que c’était que cette « union conservatrice » dont on s’est plu à faire une combinaison de salut, qui a pu abuser un jour M. le président de la république lui-même. On a cru possible et habile de fonder