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signification ; mais elle n’est plus maîtresse du scrutin, elle n’est plus la majorité, et déjà le vote de la loi sur le colportage lui a prouvé qu’elle risquerait fort d’échouer dans une campagne d’opposition systématique et chagrine contre tout ce qui viendrait de l’autre chambre ou du ministère.

A vrai dire, on s’exagère peut-être un peu de part et d’autre l’importance de quelques lois qui ne sont probablement pas destinées à faire une grande figure dans l’histoire et qui ne prendraient un intérêt exceptionnel que si elles avaient l’étrange fortune de devenir une occasion de conflit entre les deux assemblées. Évidemment ces actes de législation qui traînent depuis l’ouverture des chambres sont nés uniquement et exclusivement des dernières circonstances, de la dernière crise dénouée par l’avènement du ministère du 14 décembre 1877. Ils ont eu pour objet d’atteindre rétrospectivement le 16 mai dans ses œuvres de répression, de restreindre ou de préciser des prérogatives de gouvernement dont des politiques hardis ont abusé et auraient pu encore plus abuser. On s’est donné le plaisir de mettre nos droits sous la sauvegarde de textes nouveaux ! Parlons cependant en toute franchise et sans illusion. Que s’est-on proposé ? On a voulu surtout, c’est bien clair, se précautionner contre des velléités de coups d’état en enlevant d’avance à toute pensée de dictature l’instrument commode de l’état de siège, d’un état de siège légal. Eh bien ! croit-on sérieusement que le jour où il y aurait au pouvoir un homme, des hommes capables de méditer et de tenter des coups d’état, résolus en d’autres termes à se mettre au-dessus de toutes les garanties légales et constitutionnelles, croit-on que ces hommes se laisseraient arrêter par une loi de plus ? Des lois, il y en a toujours la veille des coups d’état, et il n’y en a plus le lendemain, il n’y a plus que la toute-puissance des vainqueurs ! Ce serait trop naïf de se fier à ces moyens platoniques de préservation qui n’ont jamais rien préservé. La loi votée par la chambre des députés et portée au sénat risquerait donc de n’être qu’une faible ressource défensive pour les grandes circonstances, pour ces cas exceptionnels où les attentats de la force sont possibles. Sous ce rapport, elle ressemblerait à une précaution ingénue ; mais l’utilité réelle, l’intérêt d’opportunité immédiate qu’elle peut avoir dans les circonstances heureusement ordinaires où nous vivons, c’est de dissiper des doutes qui ont pu s’élever, qui ont peut-être encouragé en certains momens de périlleuses tentations. On a pu entrevoir le rôle qu’ont eu dans les dernières crises ces questions d’interprétation des droits du pouvoir exécutif. Personne n’ignore que, si M. le président de la république a pu parfois se méprendre sur l’étendue de ses prérogatives et se laisser troubler par des équivoques, il a mis aussi son honneur à s’arrêter là où il a vu clairement la limité de son autorité légale. C’est justement à préciser cette limite, à