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moins enfanter à leur tour ; fécond est l’idéal, comme ces conceptions créatrices du poète, de l’artiste, du philosophe, qui peuvent faire surgir un monde nouveau d’idées, de sentimens, de volontés. La chimère est irréalisable, l’idéal est progressivement réalisable ; l’une est contre la nature, l’autre est selon la nature, l’une est le faux, l’autre est le vrai. Le domaine des idées est la part légitime de l’idéalisme, qui n’exclut pas le naturalisme, mais l’achève et le complète, de même que la pensée n’exclut pas la matière, mais l’éclaire, la pénètre et la transforme. Il faut donc dans toute science élever l’idéalisme sur les fondemens même du naturalisme et chercher à les unir ; on ne sort pas pour cela du naturalisme vrai : étudier les idées, c’est analyser les formes de la pensée humaine, déterminer ses directions essentielles ou accidentelles, découvrir les lois de son évolution ; or la pensée, elle aussi, fait partie de la nature.

La science sociale et politique, plus encore que toute autre, doit tenir compte de l’idéal dans ses principes et dans ses applications. La science sociale en effet tend à la pratique, et il n’y a point de pratique sans idéal ; un être intelligent ne peut rien faire sans se demander ce qu’il y a de meilleur à faire. Là est le côté vrai, là sont la grandeur et la force de la doctrine française ; notre nation a toujours eu l’ambition de réaliser le meilleur, elle a toujours voulu conformer ses lois et sa politique aux idées les plus hautes que la pensée puisse concevoir ; nous ne sommes point de ceux qui, avec M. Taine, lui en font un reproche. Une législation civile, une constitution politique, doivent sans doute être faites pour la réalité, mais elles doivent être faites en même temps pour l’idéal ; c’est ce qu’oublient les naturalistes et l’école historique, dans leurs critiques en partie justes de la méthode suivie par notre nation. La considération de l’idéal est aussi indispensable au jurisconsulte et au politique que l’étude de la géométrie pure au mécanicien, quoiqu’il n’y ait dans la nature ni cercle parfait, ni triangle parfait, ni même une seule ligne réellement droite. Dès lors la vraie méthode nous impose l’examen de cette question : — Si le droit et la liberté ne sont point une réalité, ne sont-ils pas du moins un idéal ? En d’autres termes, la perfection de la société n’est-elle pas que tout le bien qui peut se réaliser en elle soit réalisé volontairement par ses membres, et ne faut-il pas pour cela laisser à chaque volonté cette indépendance extérieure et intérieure qui constitue le droit ?

Parlons d’abord de la liberté extérieure. Il est certain que le bien réalisé volontairement par l’individu et sans contrainte venue d’autrui est, sous tous les rapports, supérieur au bien contraint. Les raisons en sont nombreuses. D’abord il a plus d’intensité : c’est une