Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/571

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a vu passer des amis ou des parens qui venaient prier et pleurer auprès d’une tombe chérie ! Nous nous arrêtons un moment dans ces chambres plus vastes que les autres et au fond desquelles se trouve une tombe disposée en forme d’autel. Elles servaient, nous dit M. de Rossi, pour les réunions de famille. On y venait, aux anniversaires funèbres, implorer la miséricorde de Dieu pour les défunts, « lire ensemble les livres saints, et chanter des hymnes en l’honneur des morts qui dorment dans le Seigneur. » Il est aisé de se figurer l’effet que ces cérémonies devaient produire sur des âmes pieuses. Au milieu de ce silence solennel, entre ces murs garnis de cadavres, on semblait vivre tout à fait dans la compagnie de ceux qu’on avait perdus. L’émotion dont on était saisi faisait plus clairement comprendre cette solidarité des morts et des vivans que le paganisme avait entrevue et dont l’église fit un de ses dogmes. On se sentait si plein de toutes ces chères mémoires qu’on croyait sans effort que la mort ne peut pas rompre les liens qui attachent l’homme à l’homme, et qu’ils continuent à se rendre des services mutuels au-delà de la vie, ceux qui ne sont plus profitant des prières de l’église, ou, s’ils jouissent de la béatitude céleste, aidant de leur intercession ceux qui vivent encore[1]. C’est le sentiment qu’expriment les exclamations pieuses que les visiteurs des premiers siècles ont tracées en passant sur la muraille avec la pointe d’un couteau, et que M. de Rossi est parvenu, non sans peine, à copier et à comprendre.

L’histoire du christianisme primitif est tout entière aux catacombes ; on peut y suivre en les parcourant toutes les vicissitudes de son existence agitée. Ces galeries qui débouchent librement sur les grandes voies publiques, ces ouvertures destinées à donner un peu d’air et de jour aux hypogées, sont d’un temps où les chrétiens étaient tranquilles et se fiaient à la tolérance de l’autorité. Au contraire ces allées obscures, ces routes tortueuses rappellent l’époque des persécutions. Cette époque est restée plus vivante que les autres dans les cimetières chrétiens, et M. de Rossi nous en montre partout des traces. Il nous fait voir comment les anciens escaliers furent alors démolis et les grandes galeries comblées pour mettre les tombes des martyrs à l’abri des profanations. On creusa en toute hâte des chemins nouveaux qui conduisaient à des carrières de sable abandonnées, par où l’on pouvait entrer et sortir sans éveiller les soupçons ; et même ces issues secrètes, on essaya de les rendre impraticables pour des étrangers et des envahisseurs.

  1. Ces expressions sont empruntées à l’un des plus anciens rituels de l’église romaine, cité par M. de Rossi : Defunctorum fldelium animæ quæ beatitudine gaudent nobis opitulentur ; quæ consolatione indigent ecclesiæ precibus absolvantur.