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tout opposé à celui qu’on avait espéré. L’accusation stipulait une tentative de meurtre avec préméditation. L’avocat de Boissin plaida le cas de légitime défense, et, soit que les jurés eussent subi les influences du dehors, soit que la manière dont les questions furent posées entraînât mie condamnation trop rigoureuse à leur gré, ils prononcèrent l’acquittement. « Cette affaire a été menée le plus adroitement du monde par le parti, écrivait le général de Briche à la date du 10- février 1817 ; rien n’a été oublié. Il n’y a pas jusqu’aux gendarmes qui ont déposé à décharge. La leçon avait été si bien faite à un qu’il a dit avoir vu le général donner à Boissin quatre coups de plat de sabre, tandis que Boissin lui-même ne s’est plaint que d’en avoir reçu un ou deux. On a aussi écarté l’homme qui avait eu le courage de déposer qu’il avait entendu dire à Boissin, après avoir tiré sur le général : — Ah ! coquin, je ne t’ai pas brûlé la cervelle[1]. » Dix questions furent posées au jury. La réponse fut affirmative sur deux, négative sur huit. Trois d’entre elles méritent d’être citées ici. « L’accusé a-t-il été provoqué par des coups et violences graves sans motifs légitimes ? — Oui. — Était-il porteur d’une arme cachée ? — Oui. — Est-il coupable d’avoir blessé un agent de la force publique pendant qu’il exerçait son ministère et à cette occasion, par un coup de pistolet qui a produit l’effusion du sang, blessure et maladie, et d’où il est résulté une incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours ? — Non. » Ainsi que le fit remarquer le procureur du roi, les réponses du jury auraient dû avoir pour conséquence la mise en accusation du général de Lagarde lui-même.

Depuis, pour justifier ce jugement scandaleux, des écrivains royalistes ont tenté de faire croire que le coupable avait été menacé et provoqué par le général de Lagarde ; mais ils ne l’ont pas prouvé ; ils n’ont pu expliquer surtout comment et pourquoi Boissin se trouvait sur le lieu du crime, armé d’un pistolet chargé. Au surplus, le lendemain même de l’acquittement, le marquis de Vallongues, officier de marine et maire de Nîmes, fit appeler Boissin, et, après lui avoir reproché sa conduite, exprima le regret de ne pouvoir l’expulser d’une ville que sa présence déshonorait. Boissin se fit justice en s’expatriant. Le préfet, auquel on reprochait, non sans quelque raison, son indulgence, fut destitué[2]. Le garde des sceaux Pasquier provoqua et fit prononcer l’annulation de l’arrêt, dans l’intérêt de la loi, « dernière protestation de la justice méconnue, » a écrit M. Guizot.

En même temps, le gouvernement ordonnait d’instruire contre

  1. Archives du dépôt de la guerre.
  2. Replacé plus tard, il était en 1830 préfet des Bouches-du-Rhône.