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spirituel interprète dans deux articles récemment publiés par un important recueil[1]. L’auteur constate que l’Allemagne est en l’an de grâce 1878 le seul pays où la démocratie socialiste constitue un véritable parti politique, fortement organisé, proclamant ouvertement ses principes dans les professions de foi qu’il adresse aux électeurs, ayant ses entrées dans les chambres, obligeant les pouvoirs publics à compter avec lui et ses adversaires à ne point mépriser ses attaques, quelquefois même à rechercher son alliance.

Le socialisme allemand dispose de moyens d’action considérables. Il tient des réunions privées et des assemblées générales ou congrès, de grandes et de petites assises. Comme on l’a dit, les associations ouvrières sont ses bureaux d’enrôlement, des lieux d’exercice pour ses recrues, ses dépôts de landwehr. Il ne se contente pas d’enseigner, d’organiser et de parler ; il s’est fait journaliste. Il a fondé 14 imprimeries, et il publie 41 feuilles politiques dont 13 paraissent six fois par semaine ; 18 ont été créées dans ces neuf derniers mois. On assure que le chiffre des abonnemens dépasse 130,000 ; le moniteur officiel du parti, le Vorwärts, qui paraît à Leipzig, en a pour sa part 12,000 environ ; die neue Welt, feuille littéraire, organe du socialisme amusant, en compte plus de 35,000. Aux journaux périodiques il faut ajouter les brochures, qui pullulent comme les mulots, et un calendrier fort répandu, der arme Conrad, qui se tire à plus de 50,000 exemplaires. Parmi les rédacteurs attachés au service ordinaire de cette presse figurent des gens de lettres qui ont fait leurs études, à l’université, des typographes, trois serruriers, un maçon, un tanneur, un mécanicien, un charpentier, un tonnelier, un cordonnier, un libraire, deux tailleurs et un maître d’école[2]. Ces publicistes d’aventure ont bien vite appris leur métier, et ils n’ont point perdu leurs peines. Il y a paru dans les dernières élections. Douze députés socialistes siègent aujourd’hui dans le parlement fédéral ; il y en aurait trente-cinq, si la démocratie sociale avait pu porter à son actif la somme des minorités imposantes qu’elle a recueillies dans les 175 collèges où elle a couru les chances du scrutin. Sur cinq millions et demi d’électeurs votans, près de 500,000 ont voté pour elle. Parmi ces douze députés, il en est qu’on écoute, il en est d’autres dont on se moque, mais ceux qui les écoutent ou qui les sifflent ne peuvent s’empêcher de faire la réflexion que, si on ajoutait au nombre des électeurs qui ont voté pour des socialistes ceux qui ont nommé au parlement des Polonais, des Guelfes, des particularistes, des démocrates souabes, des ultramontains, et les représentans de la protestation alsacienne, il suffirait du déplacement de 400,000 voix

  1. Die deutsche Rundschau : Deutschland und der Socialismus, n° du 5 février et du 6 mars 1878.
  2. Die deutsche Socialdemokratie, von Franz Mehring. Bremen, 1877, page 126.