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l’Herzégovine et de la Bosnie. Qui empêchait l’Angleterre de s’assurer la libre disposition de l’isthme de Suez en mettant la main sur l’Égypte ? S’il lui fallait une garantie supplémentaire, elle avait le choix entre la Crète, ou l’île de Lesbos, ou l’île de Ténédos en face des Dardanelles, ou peut-être même Gallipoli. On ne pouvait être plus conciliant. L’Angleterre ne réclamerait pas en vain pour le roi de Grèce, beau-frère du prince de Galles. Le Journal de Saint-Pétersbourg n’excluait même pas du partage la France et l’Italie, si le désir leur venait de participer à la curée. Trop clairvoyant pour croire au succès de ce qu’il appelait dédaigneusement « la politique des pourboires, » M. de Bismarck n’a pas refusé néanmoins de faire appuyer par ses journaux officieux l’idée d’un partage, et de sonder à cet égard les cabinets de Vienne et de Londres. Si ces ouvertures avaient été agréées, M. de Bismarck aurait laissé faire : seulement, quand le partage aurait été consommé, et que chacun aurait eu pris sa part de dépouilles, le chancelier aurait fait observer que, tandis que tous les états s’arrondissaient aux dépens de la Turquie, l’Allemagne ne pouvait être seule à ne recevoir aucun agrandissement, et il aurait réclamé, à titre d’équivalent, l’annexion d’Anvers et de la Hollande. Il aurait allégué que, la maison d’Orange-Nassau étant sur le point de s’éteindre, puisque l’unique héritier de la couronne refuse de se marier, l’annexion de la Hollande à l’Allemagne ne serait guère qu’un avancement d’hoirie. Il suffit de lire les journaux néerlandais, qui n’ont pas caché leurs craintes, pour se convaincre que ce n’est point là une conjecture sans fondement.

Les journaux russes ont refusé longtemps de prendre au sérieux les préparatifs militaires de l’Angleterre ; ils n’y voulaient voir que des mesures de précaution pour s’emparer de l’Égypte sans qu’il fût possible aux puissances méditerranéennes d’y faire obstacle. Quant à l’adhésion de l’Autriche, elle paraissait encore moins douteuse. Les Russes sont aujourd’hui détrompés, et leur désappointement s’exhale en plaintes amères. L’Autriche n’a pas voulu prendre l’Herzégovine et la Bosnie au mépris des traités et pour de pures raisons de convenance, parce qu’elle craint de donner un exemple qui puisse un jour être invoqué contre elle. Il lui faudrait accorder à ces nouveaux sujets les mêmes droits qu’aux anciens, et il y a déjà assez de députés slaves qui siègent au parlement de Pesth. L’Angleterre, qui a renoncé à administrer ses colonies malgré la communauté d’origine, de langage et de mœurs, ne se soucie point d’avoir à gouverner et à défendre l’Égypte ; c’est à peine si elle peut suffire à recruter le personnel administratif et militaire de son empire indien. Il serait impossible à une administration européenne de faire produire à l’Égypte ce que le khédive en tire. Il est donc plus avantageux pour les créanciers anglais que les fellahs soient