Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/966

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE DRAMATIQUE.

THÉÂTRE-FRANÇAIS

Les Fourchambault, comédie en cinq actes, par M. Emile Augier.


Tout dernièrement M. Emile Montégut exprimait ici[1] le vœu que M. Augier essayât « sous une forme nouvelle appropriée à notre temps la comédie de caractère » en créant un de ces types « qui résument des portions entières de la nature humaine et donnent un nom inoubliable à quelqu’un de nos vices ou à quelqu’une de nos vertus. » Si la comédie des Fourchambault ne réalise pas encore l’idéal souhaité par le critique, elle marque néanmoins une évolution nouvelle et heureuse du talent d’un de nos dramaturges contemporains les mieux doués. Le caractère-type rêvé par M. Montégut n’apparaît pas dans cette pièce, mais l’auteur y a étudié avec ampleur et élévation une intéressante situation morale : — celle de l’enfant naturel en face du père qui l’a abandonné pour se créer ailleurs une famille légitime.

Depuis une quarantaine d’années, le théâtre a reflété plus d’une fois les opinions ou les préjugés de la société à l’égard de l’enfant né en dehors du mariage. Au temps de l’école romantique, nous avons eu le bâtard sombre, fatal et déclassé, se répandant en invectives contre un état social qui lui refuse sa place au soleil. Plus tard, les préventions s’étant affaiblies, la société étant devenue plus tolérante peut-être parce qu’elle se sentait moins irréprochable, on a cessé de chicaner l’enfant illégitime sur l’irrégularité de son état civil ; presque toutes les barrières se sont abaissées devant lui, peu s’en est fallu que le paria des temps jadis ne se transformât en héros, et M. Alexandre Dumas nous a montré le Fils naturel jeune, riche, entraînant tous les cœurs, se faisant ouvrir les portes toutes grandes, et finissant par refuser dédaigneusement le nom que son père repentant le supplie d’accepter. Il y avait là amplement de quoi justifier le dicton populaire qui prétend que tout réussit aux enfans de la main gauche.

Malheureusement les choses ne se passent pas ainsi dans la réalité. Il y a un an à peine, les journaux racontaient la navrante histoire d’un enfant naturel, délaissé par son père et élevé par un brave homme qui lui avait donné l’éducation et l’instruction nécessaires pour se pousser dans le monde. L’enfant s’était fait admettre dans une de nos grandes écoles spéciales, mais là il s’était retrouvé sur les bancs à côté de son

  1. Voyez la Revue du 1er avril 1878.