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meuble, orné d’élégantes incrustations ou de fines sculptures par les maîtres d’autrefois ; ailleurs une fresque sérieuse et naïve s’y dissimulait sous une couche de badigeon bien des fois renouvelée. Quant aux résidences princières, elles avaient passé des Médicis aux Habsbourg-Lorraine, sans être jamais ravagées et dépouillées par une révolution ; Florence n’avait jamais cessé, depuis la chute de sa liberté, d’être la capitale d’une de ces dynasties qui, ne régnant que sur un petit pays, demandent aux lettres et aux arts qu’elles protègent le prestige qu’elles ne peuvent attendre ni de la politique ni des armes. Le palais du grand-duc, à Florence, ses villas, celle du Poggio imperiale, celle du Pratolino, bien d’autres encore, regorgeaient de richesses. C’étaient des tableaux, des bronzes, des marbres anciens et modernes, c’étaient de beaux meubles, des faïences de choix ; c’étaient des pièces d’orfèvrerie et des joyaux où l’art surpassait encore le prix des matières les plus rares. Les jardins mêmes étaient souvent décorés de vieux ouvrages florentins ou de statues antiques auxquelles partout ailleurs, sauf peut-être, à Rome, on se fût empressé d’ouvrir l’abri des musées. Ainsi, maintenant encore, c’est dans le jardin Boboli qu’il faut aller étudier deux marbres des plus intéressans pour l’histoire de la sculpture grecque archaïque, deux figures où l’on a reconnu récemment des copies antiques du célèbre groupe de Critios et de Nésiotès. L’original, commandé par le peuple d’Athènes et consacré dans l’Acropole, représentait les deux tyrannicides, Harmodios et Aristogiton, au moment même où ils frappaient le fils de Pisistrate, Hipparque ; c’était une des œuvres les plus remarquables et les plus connues que la statuaire attique eût produites avant Phidias, dans la première moitié du Ve siècle, au lendemain des guerres médiques[1].

Grâce à cette extraordinaire opulence, on a pu faire ici, presque sans bourse délier, ce qui ailleurs eût coûté des millions. Il a suffi à Florence, pour paraître multiplier ses richesses, de les classer et de les distribuer dans un meilleur ordre. On sait comment les jardiniers traitent, pour les multiplier, certaines plantes vigoureuses et de croissance rapide : ils en séparent avec précaution les racines et les tiges ; un pied d’œillets, ainsi divisé, donne deux ou trois pieds nouveaux dont chacun devient bientôt aussi fort et aussi fleuri que l’était le groupe végétal d’où il a été tiré. C’est ainsi qu’à

  1. On trouvera dans l’Histoire de la plastique, d’Overbeck (t. I, p. 115-119 de la deuxième édition allemande) l’indication des différens ouvrages antiques, monnaies et bas-reliefs d’Athènes, statues en marbre du musée de Naples et du jardin Boboli, dont la comparaison a permis de reconstituer le groupe perdu des vieux sculpteurs athéniens. On a là un curieux exemple des découvertes que peut faire aujourd’hui encore, sans sortir des musées, la sagacité de l’archéologue ; des fouilles ne sont donc pas toujours nécessaires pour nous faire retrouver, au moins dans des répliques, tel ou tel monument célèbre que l’on croyait ne pouvoir jamais restituer.