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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/193

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riches, populeuses et florissantes, que les émigrés de la conquête dorienne y avaient fondées. L’incendie de Sardes, centre de commerce où se rendaient toutes les caravanes de l’Asie, fut le signal de la guerre. L’enjeu fut l’existence même de l’hellénisme, et nous voyons clairement aujourd’hui que, si la Perse eût été victorieuse à Salamine et à Platées, ni la civilisation grecque, ni les civilisations modernes, n’eussent pu se produire : le monothéisme mazdéen eût pu s’étendre sans altération sur tout l’Occident ; à cette époque, Rome n’était pas en état de résister à une puissance qui aurait triomphé des Hellènes. Dans cette guerre, où le sort du genre humain était en question, le parti dorien fut inerte ou seconda l’invasion étrangère : ce sont les vieilles populations qui, sous la conduite des démocrates athéniens, arrêtèrent le flot asiatique et formèrent la digue contre laquelle il vint se briser.

La fuite de Xercès et de ses lieutenans fut le triomphe des anciennes populations grecques et le salut de la civilisation hellénique. Il sembla un instant qu’Athènes allait en être le centre unique et incontesté ; mais le sacrifice que les Hellènes avaient fait d’eux-mêmes et de leurs biens les laissa dans le dénûment. Sparte au contraire avait peu souffert, elle pouvait reprendre vis-à-vis d’eux l’attitude hautaine et menaçante qu’elle gardait avant la guerre ; mais elle perdit du temps. Après cinquante années, la puissance des Ioniens était rétablie ; centralisée dans Athènes, elle y trouvait des hommes supérieurs pour la diriger et affronter le choc que l’oligarchie dorienne allait lui faire sentir. On peut affirmer sans hésitation que les deux siècles qui comprennent les guerres médiques et celle du Péloponèse, nommée aussi guerre dorique, comptent parmi les plus grands qu’ait vus l’humanité. C’est pendant ce temps que furent élaborées les institutions politiques, civiles, judiciaires d’Athènes. Pour la première fois dans le monde, on voyait paraître l’égalité des hommes devant la loi, le gouvernement d’un peuple par lui-même, le service militaire obligatoire, le jury, la responsabilité des agens publics, les budgets examinés et votés, la reddition des comptes, la grande marine militaire et commerciale, les sociétés industrielles. Cette même période voyait les arts et les lettres produire des chefs-d’œuvre jugés aujourd’hui même inimitables. Cet ensemble de conceptions, qui constitue à proprement parler la civilisation hellénique, était dû avant tout aux populations ioniennes ; Sparte et les Doriens n’y prenaient qu’une bien faible part et souvent lui suscitaient des obstacles. M. Paparrigopoulo a donc raison de regarder les Ioniens, et particulièrement Athènes, comme les vrais représentans du génie grec. Cette ville, au temps de Périclès, condensait en quelque sorte l’action nationale et commune de dix millions d’hommes, répartis dans les trois péninsules centrales