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monde hellénique. Les mots patrie et nation étaient oubliés ou vides de sens ; le seul lien qui unît les hommes était la foi et la soumission à un même chef religieux. L’empire était appelé romain, byzantin, grec ; il aurait dû être qualifié surtout de chrétien, car la puissance romaine avait disparu de l’Orient, et le génie des Hellènes s’était voilé.

Le chapitre IV du livre dont nous donnons ici la substance est un des plus importans que les historiens modernes aient écrits ; nous ne croyons pas que l’on ait jusqu’ici rendu un compte aussi judicieux de la « querelle des iconoclastes. » L’absorption de l’état dans la religion avait eu en effet d’autres conséquences désastreuses. Comme on vivait dans l’église plus qu’aux camps ou à l’atelier, on était peu disposé à se battre ou à travailler. La prêtrise et le monacat, étant devenus les plus lucratives des professions, étaient aussi les plus recherchées ; un nombre incroyable d’hommes prenaient l’habit de moine et renonçaient aux devoirs sacrés de père, de citoyen, de soldat. L’agriculture, l’industrie et l’armée étaient privées de milliers d’intelligences et de bras, qu’il fallait remplacer par des mercenaires étrangers. La population diminua ; les recettes subirent chaque année un effrayant déficit par la diminution du travail et par les immunités accordées aux églises et aux couvens. « L’état ressemblait plutôt à un monastère habité par des gens oisifs qu’à une société active occupée de ses devoirs politiques et civils. Une société ainsi organisée ne pouvait aller loin. » Aussi l’empire ne tarda pas à être mutilé ; Constantinople fut assiégée une fois par les Avares alliés aux Persans, et deux fois par les mahométans.

En 717, un grand esprit, Léon III, occupa le trône et commença bientôt l’œuvre de la réforme. Léon et ses successeurs ont été nommés iconoclastes, mais leur tâche n’était pas limitée à la suppression des images ; elle nous est maintenant connue par le texte même du code civil de la réforme, découvert il y a une trentaine d’années par Zachariæ. Ce document démontre que ce qui fut tenté par les iconoclastes ne fut rien moins qu’une révolution religieuse, politique et sociale. La réformation religieuse ne touchait point aux dogmes, elle se bornait à condamner les images, à interdire l’usage des reliques et à réduire le nombre des couvens. La réforme politique et sociale enlevait au clergé l’instruction publique, abolissait le servage, consacrait, autant qu’il était possible alors, la tolérance religieuse, soumettait à l’impôt commun les biens de l’église, et par ces différentes mesures s’efforçait de « constituer une société virile, fondée sur ces principes immortels, qui ne devaient triomphai’ définitivement dans le monde qu’une dizaine de siècles plus tard. »

Léon III n’imposait pas à la société ses volontés personnelles : la réforme qu’il inaugurait était depuis longtemps réclamée par une