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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/213

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grandissant, même dans un temps « où l’église romaine était arrivée à un degré inouï de corruption et d’immoralité. » Grégoire VII la releva ; mais, devenu lui-même comme un roi suzerain au milieu des princes de l’Europe, il jugea que la souveraineté du pape serait tenue en échec aussi longtemps que l’église grecque ne serait pas soumise à sa juridiction, et il songea à la revendiquer par l’épée. Que les croisades aient eu pour unique objet de sauver les chrétiens d’Orient, c’est ce que pas un écrivain judicieux n’admet aujourd’hui. La plus grande lumière est faite sur ce point ; les événemens d’alors s’y déroulent dans une parfaite limpidité. Les prétendues lettres d’Alexis implorant les secours de l’Occident ont été reconnues fausses, inventées après coup comme un moyen mensonger de justifier des actes qui n’étaient pas justifiables. En effet, les Seldjoucides étaient sur la frontière de l’empire, et l’empire était pleinement en état de les arrêter, comme il arrêta et détruisit les meilleurs soldats de l’Europe, les Normands. Mais, dès 1074, Grégoire VII écrivait une encyclique où il disait, contrairement à la réalité, que l’église d’Orient désirait l’union au saint-siège et « demandait que Rome lui enseignât la foi pure de l’apôtre Pierre. » En 1080, il appuya par une nouvelle encyclique l’expédition que Robert Guiscard préparait depuis dix ans contre l’empire, et il engageait tous les chrétiens à lui venir en aide. Quelque motif qu’ait eu le pape de rejeter les Normands de l’autre côté de l’Adriatique, c’est en réalité l’église de Rome qui a donné le signal de l’invasion. Les premières attaques normandes n’affaiblirent pas sensiblement l’empire grec : en 1095, il était plus fort que dix ans auparavant. Il n’en fut pas de même des croisades proprement dites. Les bandes pillardes de Pierre l’Ermite se fondirent en route et n’atteignirent pas la Palestine ; mais on sait le désordre que cause dans un pays la présence d’une armée étrangère. Quand les chefs sérieux des croisés, Godefroy de Bouillon, Bohémond, Baudouin, entrèrent en ligne, un esprit de haine contre les Grecs avait été répandu en Europe. Cette haine pour de prétendus hérétiques est attestée par une lettre de Bohémond à Godefroy, que nous ont conservée les chroniqueurs occidentaux. Elle le fut de nouveau lors de la prise d’Édesse et de l’assassinat du vieux Théodore par Baudouin, par la violation des traités conclus avec Alexis, par les conquêtes et le pillage en Cilicie et en Pamphylie, terres helléniques. Le royaume de Syrie, fondé par les croisés, demeura impuissant contre les Seldjoucides ; mais l’expédition qui aboutissait à ce résultat avait diminué les ressources de l’empire en hommes et en argent et porté le trouble dans son organisation. L’historien Michaud lui-même avoue que l’union sincère des Latins et des Grecs eût suffi pour écarter le péril de l’invasion musulmane ; en effet Manuel et