Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE
PROCES DE VERA ZASSOULITCH

Il y a trois semaines, qui parlait d’elle ? En quelques instans, elle est devenue célèbre, aujourd’hui l’Europe tout entière sait son nom. Pendant plusieurs jours, l’Europe, faisant trêve à ses perplexités politiques, a cessé de se demander si le congrès se réunirait, si l’honnête courtier parviendrait à force de patience et de dextérité à concilier les prétentions rivales de l’éléphant et de la baleine. Quarante-huit heures durant, l’Europe a tout oublié, la paix, la guerre, M. de Bismarck, lord Beaconsfield, le prince Gortchakof, pour ne s’occuper que de Vera Zassoulitch et de l’étrange aventure judiciaire dont cette inconnue a été l’héroïne. Dans le premier moment, on a singulièrement exagéré les conséquences de cette aventure. Certains esprits qui vont trop vite, certains journalistes doués d’une imagination téméraire et chimérique, ont prétendu que Vera Zassoulitch tiendrait sa place dans l’histoire universelle, qu’elle avait reçu une mission d’en haut, que la destinée lui avait parlé et lui avait dit : — Fais le signe de la croix et prends ta hache, ou prends tout simplement ton revolver sans faire le signe de la croix. Tu t’appelles Judith, tu frapperas Holopherne ; aussitôt les Assyriens épouvantés transigeront avec le marquis de Salisbury, et la question d’Orient sera résolue. — Non, ce n’est point Vera Zassoulitch qui résoudra la question d’Orient, elle n’a pas tué Holopherne, elle n’a pas épouvanté l’Assyrie. Il n’en est pas moins vrai que son procès a été pour la Russie comme un signe des temps et pour le reste de l’Europe toute une révélation, propre à faire réfléchir ceux qui réfléchissent le moins.

Tout paraît étrange dans cette histoire. Un grand-maître de la police, qui n’a jamais eu la réputation d’un homme féroce, visite un jour la prison de détention préventive de Saint-Pétersbourg ; il y rencontre un condamné politique, qui, après s’être permis de lui adresser la parole, passe