Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

extérieure et aller attaquer l’insurrection dans ses repaires, mais c’était suffisant pour défendre une vaste construction fermée et devenue, par le fait, une sorte de citadelle. On matelassa les fenêtres, on prépara dans la grande cour les élémens d’une barricade pour résister à l’intérieur dans le cas où l’entrée eût été forcée ; on barbacana quelques murailles ; on s’assura que les conduites d’eau fonctionnaient bien et que les pompes à incendie étaient gréées ; M. Chazal prescrivit à l’économe de faire des achats de vivres, car on pouvait avoir un siège en règle à soutenir. Le commandant Bernard rassembla son bataillon et désigna à chaque escouade, à chaque homme le poste de combat qu’il devait occuper. Comme à bord des navires de guerre, on fit le simulacre du branle-bas ; les ordres furent donnés une fois pour toutes, et chacun sut, dès le premier jour, où il devait se rendre en cas d’alerte. Les amateurs de chasse ne sont pas rares parmi les employés de la Banque ; ils furent réservés pour certains postes élevés d’où ils auraient pu diriger un feu plongeant sur les assaillans. Les sentinelles extérieures furent rentrées et remplacées par des vigies qui, placées près des fenêtres, surveillaient les rues aboutissant à la Banque. On avait des fusils ; mais le dépôt de munitions était bien faible, et 14,000 cartouches ne représentaient qu’un moyen de résistance limité. Cependant, si cette petite réserve était dérisoire pour des soldats en marche et en combat, qui s’enivrent au bruit et s’amusent à « faire parler la poudre, » c’était une très sérieuse ressource pour des hommes calmes, embusqués, abrités, ne tirant qu’avec certitude et pouvant « faire balle » à tout coup. Il est probable que, si la Banque eût été attaquée de vive force, elle eût succombé ; mais sa défaite eût coûté cher, si cher que l’on eût sans doute renoncé à la lui faire subir. Le commandant Bernard, qui, de ce jour, ne quitta plus la Banque un seul instant, était parfaitement décidé à faire tout ce qu’il faudrait pour éviter la lutte, mais il était énergiquement déterminé à la soutenir jusqu’au bout, si elle devenait nécessaire.

On s’imaginait alors dans Paris que l’on parviendrait peut-être à refouler l’insurrection et à lui arracher tous les organes de la vie administrative qu’on lui avait si promptement abandonnés. Il paraissait impossible que le gouvernement campé à Versailles ne fît pas un effort immédiat, considérable, pour rendre à la santé cette capitale atteinte de chorée alcoolique et meurtrière. Sans ordres, sans instructions, sans guide, livrés au hasard des événemens dont ils étaient fort innocens, les honnêtes gens s’étaient groupés dans l’intérêt du salut général et essayaient de réagir, d’une part contre les violences de la révolte, de l’autre, contre l’apathie gouvernementale qui, ayant laissé creuser le gouffre où Paris sombrait, semblait lui dire ; Tire-toi de là comme tu pourras ! Pendant que les