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étonné : « Comment ? M. Mignot n’est pas là, j’en suis surpris ; ayez la complaisance de l’attendre, il ne tardera pas à rentrer ; je regrette de ne pouvoir vous satisfaire ; ce n’est pas moi qui ai les clés de la caisse, c’est M. Mignot. » De guerre lasse, Jourde et Varlin retournèrent à la caisse centrale et attendirent M. Mignot, qui n’avait point reparu, par la bonne raison qu’il était en conférence avec le marquis de Plœuc, auquel il rendait compte de sa mission.

Impatiens et inquiets tout à la fois, grommelant des menaces, Jourde et Varlin commençaient à trouver le temps long. M. de Plœuc continuait à les laisser attendre, car il avait grande envie de repousser cette nouvelle réquisition. Tout à coup un bruit de tambour se fit entendre, il se rapprocha ; les grandes portes furent ouvertes, et trois compagnies entrèrent dans la cour. C’étaient les soldats promis à M. Mignot et envoyés par le colonel Quevauvilliers. Jourde et Varlin pâlirent : allaient-ils donc être arrêtés et retenus prisonniers ? Ils se levèrent : — Nous rendons la Banque responsable du refus qui nous est fait ! — et ils se retirèrent en toute hâte. Ils traversèrent la haie des gardes nationaux qui ne les connaissaient point, et se sentirent quelque peu soulagés lorsqu’ils furent dans la rue. Une heure après, la sommation suivante était apportée à la Banque et remise à M. de Plœuc :

« Ministère des finances. Cabinet du ministre : Paris, 23 mars 1871. — Monsieur le gouverneur, affamer la population, telle est l’arme dont se sert un parti qui se dit honnête. La faim ne désarmera personne, elle ne fera que pousser les masses aux massacres et à la dévastation. Nous voulions éviter tous ces maux, la Banque pouvait nous y aider. Elle a préféré se mettre du côté d’hommes qui veulent coûte que coûte triompher de la république. Nous ramassons le gant qui nous est jeté, laissant à ceux qui, pour leurs personnalités, n’hésitent pas à irriter les fureurs populaires, l’épouvantable responsabilité de leur conduite. Quant à nous, nous avons fait notre devoir, et si notre attitude conciliatrice a été prise pour de la crainte, nous prouverons qu’on s’est trompé. Puisse la Banque revenir sur les décisions funestes qu’elle paraît avoir prises ; nous ne nous represerons (sic) pas devant elle ; si la Banque est disposée à verser le complément du million demandé, elle le fera parvenir au ministère des finances avant midi. A partir de cette heure, toutes les mesures nécessaires et les plus énergiques seront prises. Vive la république ! Les délégués aux finances : JOURDE, E. VARLIN. » C’est ce dernier qui a écrit cette épître emphatique et boursouflée dont la minute a été conservée. Il y aurait eu bien des choses à répondre à cette lettre, dont tous les argumens sont d’une fragilité ridicule, mais l’on savait d’avance que toute discussion serait inutile. M. de Plœuc se contenta de répondre verbalement