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« Si l’existence fait le malheur, la non-existence fait le bonheur[1] ; » tous ces termes équivalent entre eux. Quelles que soient les opinions différentes qui aient été soutenues sur l’interprétation du nirvâna, il paraît bien que c’est là l’interprétation véritable, au moins de la pensée de Çakya-Mouni, avant qu’elle n’ait été adaptée et abaissée au niveau des croyances populaires. L’expression la plus précise de cette doctrine se trouve dans la doctrine des Scâbhâvikas, traduite pour la première fois par M. Eugène Burnouf : « Sûnyatâ (l’anéantissement) est un bien (on pourrait dire le plus grand bien), quoiqu’il ne soit rien ; car hors de là l’homme est condamné à passer éternellement à travers toutes les formes de la nature, condition à laquelle le néant même est préférable. » il semble établi, par l’étymologie même du mot, que l’âme humaine, dans le nirvana, n’est pas absorbée, ainsi que s’expriment les brahmanes, comme une goutte dans l’Océan, mais qu’arrivée à sa perfection l’âme s’éteint comme une lampe, suivant l’expression consacrée des bouddhistes dans la stance célèbre qui a gardé la tradition de la mort de Çakya-Mouni : « Avec un esprit qui ne faiblissait pas, il a souffert l’agonie de la mort ; comme l’extinction d’une lampe, ainsi a eu lieu l’affranchissement de son intelligence. » L’affranchissement, c’est bien ici le néant : que reste-t-il de la flamme quand elle est éteinte ?

La préparation au nirvana, c’est l’ascétisme, c’est aussi la pratique de la sympathie universelle pour tout ce qui vit. L’individualité n’est qu’une illusion : « Tu es ceci, tu es cela, tu es toute chose, » disait le Bouddha ; de là sa prédication « de la grande mansuétude, de la grande commisération ; » il ajoutait : « de la grande indifférence. » En même temps qu’il recommandait d’être doux aux autres êtres, il recommandait d’être implacable pour soi-même. Les règles de son enseignement moral, résumées dans les dix commandemens destinés à ses disciples, sont d’une rigueur exemplaire ; les observances imposées aux religieux et aux religieuses sont d’une austérité effroyable. Il leur était prescrit de se vêtir seulement de haillons ramassés dans les cimetières ; ils ne pouvaient rien posséder ; ils devaient vivre de restes recueillis dans leurs vases de bois ; ils devaient résider dans les forêts, sans autre abri que le feuillage des arbres ; ils pouvaient étendre leur tapis au pied de l’arbre choisi comme refuge, et s’y asseoir, mais il ne leur était pas permis de se coucher, même pour dormir. De temps en temps, ils étaient tenus à passer une nuit dans les cimetières pour y méditer sur la vanité de toutes choses[2]. — Lui-même, le Bouddha égalait et

  1. Max Müller, opere citato.
  2. Max Müller, Essai sur les religions. — Les Pèlerins bouddhistes.