et même de la nature, tandis que le nirvana bouddhique est la récompense et le privilège des sages, de ceux-là seuls qui ont embrassé la morale des dix commandemens et le système des quatre vérités. Schopenhauer a l’ambition d’étendre l’influence magique de ses opérations au-delà de l’individu jusqu’à l’humanité elle-même, au-delà de l’humanité jusqu’à l’univers. C’est dans l’homme que s’élève le plus haut la Volonté qui, prise en elle-même, est un désir aveugle et inconscient de vivre et qui a traversé tous les degrés de la nature inorganique, le règne végétal et le règne animal, avant d’arriver, dans le cerveau humain, à la conscience d’elle-même. Là est le dernier terme connu de l’ascension de la Volonté : c’est à ce degré seulement que se pose l’alternative d’où dépendra son sort, son malheur éternel ou son repos définitif : l’affirmation ou la négation du vouloir. Il n’est pas naturel de supposer que la Volonté aille plus haut, et d’ailleurs à quoi bon, puisqu’à ce degré l’alternative se pose avec une parfaite clarté ? C’est de la décision de l’homme que dépendra non-seulement son avenir, mais celui de l’univers. C’est vraiment l’homme qui est le libérateur de la nature ; c’est de lui qu’elle attend sa rédemption ; il est à la fois le prêtre et la victime. Nous verrons plus tard si Schopenhauer avait quelque droit à étendre aussi, loin son office et son sacerdoce de libérateur.
Quant aux procédés de la libération, ils ressemblent beaucoup à ceux que nous avons déjà vus à l’œuvre dans les opérations psychologiques et physiologiques de Çakya-Mouni, le dépouillement graduel de toutes les formes et de tous les phénomènes de l’individualité, le renoncement méthodique à soi, l’exercice de l’immolation et du sacrifice. — Si la Volonté, dans la redoutable alternative qui lui est posée, a choisi de se nier elle-même, « nous entrons, comme disent les mystiques, dans le règne de la grâce : c’est le monde vraiment moral où la vertu commence par la pitié et la charité, s’achève par l’ascétisme et aboutit à la libération parfaite. »
La base de la morale qui conduit à la délivrance, c’est la sympathie, c’est la pitié, c’est la charité. On croirait entendre un disciple du Bouddha : « Celui qui a reconnu une fois l’identité de tous les êtres ne distingue plus entre lui-même et les autres ; il jouit de leurs joies comme de ses joies ; il souffre de leurs douleurs comme de ses douleurs ; tout au contraire de l’égoïste qui, creusant un abîme entre lui-même et les autres et tenant son individualité pour seule réelle, nie pratiquement la réalité des autres… La pitié est ce fait étonnant, mystérieux, par lequel nous voyons s’effacer la ligne de démarcation, et le non-moi devenir en quelque façon le