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parlemens, contre le clergé, contre la religion, des faits subsidiaires de la cause, ou parce que, dans l’affaire du chevalier La Barre et du crucifix d’Abbeville, l’épouvante lui donna de l’éloquence, est-ce une raison pour saluer en lui l’apôtre de la tolérance et le précurseur des libertés modernes ? « Il n’y a de grandes actions, a dit La Rochefoucauld, que celles qui sont l’effet d’un grand dessein. »

Jusqu’alors en effet, c’était, comme on dit, d’un air assez dégagé que Voltaire avait touché cette question de la tolérance. « Je suis fâché, disait-il un jour à propos de Vanini, je suis fâché qu’on ait cuit ce pauvre Napolitain. » Il lui semblait d’ailleurs mauvais « qu’on persécutât des idiots qui aimaient le prêche. » Et n’était-ce pas à la veille de l’affaire des Calas qu’il écrivait à D’Argental : « Le monde est bien fou, mes chers anges. Pour le parlement de Toulouse, il juge ; il vient de condamner un ministre de mes amis à être pendu, trois gentilshommes à être décapités et cinq ou six bourgeois aux galères ; le tout pour avoir chanté des chansons de David. Ce parlement de Toulouse n’aime pas les mauvais vers. » Quels cris d’indignation ne pousserait-on pas, si c’était dans un écrivain du siècle de Louis XIV, dans la correspondance de Mme de Sévigné, par exemple, qu’on retrouvât une semblable phrase ! On apprend cependant à Genève que Calas, accusé d’avoir assassiné son fils, vient d’être roué par arrêt du parlement de Toulouse. Il n’y a là qu’une épouvantable erreur judiciaire. On a fait un crime à Calas du suicide de son fils ; avec une odieuse précipitation, on lui a instruit son procès, et, sans lui laisser seulement le temps de rassembler les élémens de sa défense, on l’a conduit à l’échafaud. Moins prévenus contre un protestant, dont le fils passait pour vouloir se convertir à la religion catholique, les juges de Toulouse eussent pris sans doute le temps de mieux informer. La triste nouvelle soulève l’indignation de la grande cité protestante. Voltaire voit « tous les étrangers indignés, tous les officiers suisses protestans déclarer qu’ils ne combattront pas de grand cœur pour une nation qui fait rouer leurs frères sans aucune preuve. » C’est alors seulement qu’il intervient, et qu’il juge le moment favorable « pour devenir l’idole de ces faquins de huguenots, » comme il en donnait quelques mois auparavant le conseil au maréchal de Richelieu, « vu qu’il est toujours bon d’avoir pour soi tout un parti. » Sans doute, une fois la procédure de réhabilitation introduite, Voltaire se donnera tout entier, se dévouera corps et âme à la cause des Calas. Son sujet l’entraînera, l’emportera, l’élèvera jusqu’à l’éloquence, mais non pas jusqu’à l’oubli de soi-même, car l’affaire « intéressera toute l’Europe, » car Paris et la France retentiront du nom de