Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se trouvait dans la situation la plus délicate entre sa partialité pour le ministère et une vieille intimité avec l’ambassadeur candidat. M. de Wendel, avec la bonne intention de tout concilier, n’arrivait peut-être qu’à tout compliquer. Il avait fait tout ce qu’il avait pu pour dissuader De Serre de se présenter. Il avait parlé à ses intérêts, à ses sentimens, même un peu à son amour-propre ; il était allé jusqu’à lui écrire : « Je ne vois qu’une chose utile pour vous dans une élection, c’est la certitude de rester où vous êtes, et je pense que vous aurez cette certitude même sans être nommé… Quant à rentrer au ministère, je ne le désire pas dans votre propre intérêt. J’ai vu la vie que vous meniez et j’ai souvent trouvé qu’elle était affreuse. Vous n’aviez sans doute d’autre désir que de rendre votre pays heureux, et cependant ceux qui remplissaient vos salons ont été les premiers à vous dénigrer… M. de Richelieu était sans doute le plus honnête homme de France, celui peut-être qui a rendu les plus grands services : j’ai vu plaisanter ceux qui se plaisaient à rappeler son souvenir. Je n’ai plus trouvé rien à envier dans la position des ministres, et je crois que vous devez être beaucoup plus heureux qu’eux. » M. de Wendel avait cherché vainement à détourner De Serre, il n’avait pas réussi à l’ébranler. Il avait essayé, d’un autre côté, de ramener M. de Villèle à des dispositions plus conciliantes, de lui faire sentir qu’il était intéressé à décorer son parti d’un tel candidat : il avait encore moins réussi. M. de Wendel avait cru alors se tirer d’embarras en se réfugiant dans une neutralité plus nuisible qu’utile à celui qu’il ne voulait ni abandonner ni favoriser contre le gouvernement : de sorte que De Serre, sans le vouloir, se trouvait être un candidat d’opposition désavoué, combattu par le ministère avec l’énergie la plus imprévue.

Le fait est que dans les deux collèges de Briey et de Metz, où De Serre se présentait, l’administration organisait contre lui une campagne à outrance. Tout était mis en œuvre, pressions, intimidations, menaces de toute sorte. On réunissait d’avance les fonctionnaires et on leur imposait un serment. On ne permettait pas même au baron d’Huart de dire dans un journal que son beau-frère n’avait pas perdu l’éligibilité. M. de Wendel, malgré sa réserve silencieuse, ne pouvait s’empêcher d’écrire à De Serre, qui s’étonnait de tout ce qu’on faisait contre lui : « Vous raisonnez comme si le ministère n’avait pas mis depuis longtemps un grand intérêt à vous éloigner… Le garde des sceaux actuel a gourmande tous les juges, et M. de X., que vous avez placé, a écrit plus de cinquante lettres dans ce sens. L’autorité locale regarderait la nomination de Manuel comme un moindre échec que la vôtre : Voilà la vérité ! Cela est