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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/398

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conseil d’état, un conseil des ministres, en attendant une constitution. Toutes ces réformes se succédaient coup sur coup et pour la plupart avant l’explosion de février 1848. L’Europe était étonnée, catholiques ou hétérodoxes, les puissances félicitaient à l’envi le pontife réformateur. L’Italie était émerveillée, c’était du saint-siège que lui venait l’initiative des réformes et des libertés civiles, c’était du saint-siège que semblait devoir venir le signal de l’émancipation nationale. La péninsule avait enfin rencontré un prince italien, et ce prince était le pape. La papauté, réduite depuis des années, depuis des siècles, à un rôle si modeste, semblait retrouver tout d’un coup le prestige des plus grandes époques du moyen âge.

Un tel spectacle avait quelque chose d’insolite qui troublait les regards et les idées. L’enthousiasme public, échauffé par les premiers actes du nouveau pontife, osait tout se promettre d’un règne si bien commencé. Du nord au midi, le nom de Pie IX devint le signe de ralliement des patriotes et comme le mot d’ordre de l’Italie entière ; c’était aux cris de vive Pie IX ! que le peuple réclamait de ses princes des réformes et des libertés, que la péninsule affirmait d’avance son indépendance et son unité. A Naples, à Florence, à Turin, à Milan, à Venise, les femmes portaient les couleurs du pape, le peuple chantait l’hymne de Pie IX comme un défi à l’Autriche ; le successeur de Grégoire XVI était la première idole de cette Italie en quête d’un nom à glorifier et d’un chef à suivre. Le pape qui devait être deux fois détrôné par la révolution italienne en fut d’abord le coryphée et le drapeau.

Était-ce par complaisance pour les acclamations populaires que le chef de l’église s’était jeté dans une politique si nouvelle pour le saint-siège et si peu conforme à tout le reste de son règne ? Assurément non ; quelque sensible qu’il fût aux applaudissemens de l’Italie, Pie IX avait des mobiles plus élevés ou plus en rapport avec sa dignité. Les deux premières années de son pontificat ne sont pas si difficiles à concilier avec les trente années suivantes qu’il le semble au premier aspect. En cédant au double courant libéral et national, Pie IX cédait d’abord à l’entraînement d’une âme avide d’émotion et de sympathie, si ce n’est d’admiration et de gloire. Le pape était de ces hommes qui, se voyant portés au faîte des grandeurs, se croient appelés à faire quelque chose de grand. Dans tout son règne et à travers tous ses malheurs, jusqu’en son goût du bruit et de l’éclat extérieur, jusqu’en d’apparentés futilités, on sent la même conviction, la même aspiration. C’était un souverain pontife qui devait immortaliser son pontificat ; la manière inattendue dont le ciel l’avait élevé sur la chaire de saint Pierre le persuadait qu’il était destiné à lui rendre un nouveau lustre.