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fondation publique possible et durable que par les influences modératrices, par l’action de ces groupes qui dans tous les temps s’appellent les centres. — C’est une politique qui n’a jamais réussi, dira-t-on : toutes les fois qu’elle a été essayée, elle a échoué. Elle n’est qu’un expédient de transaction et de tactique fatalement impuissant ; il n’y a de vrai que la « division en deux camps tranchés. » Tout ce qui est « entre les deux camps est exposé au feu croisé et doit faire retraite après une honorable défense. » C’est possible, c’est ce qu’on disait déjà de son temps à De Serre ; c’est le mot d’ordre invariable de ceux qui, selon les époques, veulent la domination des royalistes sous la monarchie ou la domination des républicains sous la république, et qui dans les deux cas, en se croyant de grands logiciens, ne sont que des politiques de partis exclusifs. Sur quoi se fondent donc ces théoriciens des « deux camps tranchés » ou des dominations exclusives pour, se montrer si dédaigneux à l’égard des modérés ? A quoi ont-ils jamais réussi eux-mêmes, lorsqu’ils ont cru toucher à la réalisation de leur rêve, lorsqu’ils ont été les maîtres ? Ils ont eu parfois le pouvoir, ils l’ont toujours perdu et ils le perdront toujours, précisément parce qu’ils sont exclusifs, parce qu’ils ne représentent qu’un intérêt ou une passion de parti. Ils ne fondent rien, ils ne laissent après eux que le souvenir de victoires excessives, stériles et éphémères. La politique modérée a eu ses échecs ; mais ce qu’il y a de curieux, c’est que, même en échouant dans ses combinaisons de parlement ou de ministère, elle n’a guère cessé de s’imposer, de régner par l’esprit, et c’est d’elle encore après tout que vient ce qu’il y a eu de meilleur dans ce siècle. C’est elle qui a été l’inspiratrice des plus belles œuvres, qui a donné à la France les plus longues et les plus heureuses périodes de paix, qui compte la plus glorieuse tradition d’hommes éminens depuis le duc de Richelieu jusqu’à M. Thiers, — car M. Thiers était avant tout un modéré. Dans cette tradition nationale et libérale, De Serre, lui aussi, et plus que tout autre, est un ancêtre par la raison courageuse comme par l’incomparable puissance de la parole, à cette aurore de la restauration où tout se renouvelait, la politique et la poésie, l’histoire et l’éloquence.


CHARLES DE MAZADE.