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regardé comme le chef-d’œuvre de l’artiste, il devrait aussi occuper le premier rang parmi les travaux de sculpture monumentale exécutés en France depuis le commencement du siècle.

Malheureusement, quel désaccord entre l’imposante simplicité des formes données à la personnification de la Patrie, et les apparences tumultueuses ou bizarres, les ajustemens invraisemblables ou les invraisemblances, plus répréhensibles encore, de construction que présentent les figures voisines ! Ici, c’est le général Bonaparte que l’agitation convulsive de ses membres et l’exiguïté presque ridicule de sa taille transforment en une sorte de nain frénétique. Là, pour ne citer que ces détails, c’est le mortier démesuré dont est coiffé Lamoignon de Malesberbes ou l’interminable schako s’élevant au-dessus de la tête d’un hussard anonyme, que le regard s’étonne de rencontrer aux plus belles places et de voir prédominer sur des objets plus propres à l’intéresser. Ailleurs, en face du petit tambour d’Arcole ou du colossal cuirassier qui expire à côté de lui, comment passer condamnation sur des vices de conformation et des disproportions telles que les corps de ces figures semblent appartenir tantôt à une race de pygmées, tantôt à une race de géans, tandis que, par l’énorme volume des têtes, les figures de Mirabeau, de Monge, de Fénelon et de plusieurs autres, font songer à ce personnage fantastique dit Gryllus dont les images se voient parfois sur les vases peints de L’antiquité. Que d’autres licences, que d’autres incorrections surprenantes ne pourrait-on pas relever encore ! Non, quoi qu’on en ait dit au moment où le vaste travail de David fut découvert ou depuis lors, le Fronton du Panthéon ne saurait nullement désarmer la critique. Il en appelle au contraire les sévérités au moins autant que les hommages. C’est l’œuvre d’un grand talent sans doute, mais d’un talent qui abuse de soi, que la confiance dans ses propres forces égare, et qui, d’illusion en illusion, en est venu, à confondre le dérèglement avec la verve.

Tel a été en général le tort de David dans la seconde moitié de sa carrière. Avec plus de persévérance dans la voie où il était entré au début, avec une application plus soutenue à suivre les grands exemples et à se surveiller lui-même, David, doué comme il l’était, aurait mérité peut-être d’occuper dans notre école de sculpture une place analogue à celle que Ingres avait conquise à la tête des peintres contemporains. Par une méconnaissance singulière de ses vraies aptitudes et une déviation progressive, il semble vers la fin n’avoir ambitionné que de devenir, — et encore n’est-il pas devenu, — le Delacroix de son art. Comme Ingres, il avait reçu le don d’une clairvoyance particulière pour trouver le beau dans la vérité ; le malheur est qu’il n’ait pas su, à l’exemple de son ancien