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ambitions permises aux sculpteurs et aux peintres, et dénature singulièrement le genre d’influence qu’il leur appartient d’exercer. Qui veut trop prouver, dit-on, ne prouve rien : on pourrait ajouter, en pareille matière surtout, qui veut trop raisonner divague. Bien des maîtres avant David, Léon-Baptiste Alberti, Léonard de Vinci, Albert Dürer, Jean Cousin, Poussin entre autres, ou, — pour ne parler que des sculpteurs, — Falconet dans notre pays, Flaxman en Angleterre, ont laissé des écrits théoriques sur l’art qu’ils avaient pratiqué. Aucun d’eux, que je sache, ne s’est aventuré à élargir aussi démesurément le champ des spéculations esthétiques. Ils ne rêvaient pas de régénérer le monde par la toute-puissance du beau, encore moins par « l’apothéose de l’humanité. » Ce beau dont ils se gardaient bien de surfaire ou de compromettre l’autorité en la compliquant d’une action politique, ils se contentaient d’en démêler les principes, d’en recommander les témoignages à l’admiration de tous, hommes du peuple ou non, et, comme disait Poussin, d’assigner pour fin à l’imitation pittoresque ou plastique « la délectation qu’en ressentira l’intelligence. »

Enfin, pour prendre un exemple tout près de nous, quoi de plus opposé aux chimériques visées de David, quoi de plus propre à en faire sentir l’exagération par le contraste, que les écrits sur des sujets analogues dus à la plume d’un éminent sculpteur contemporain, M. Guillaume ? Certes, — nous avons eu déjà l’occasion de le constater à propos de son travail sur Michel-Ange[1], — M. Guillaume apporte dans l’examen des questions d’art les inclinations élevées, les doctes habitudes d’un esprit profondément philosophique ; malgré cela cependant, ou plutôt à cause de cela, les considérations auxquelles il se livre ou les conseils qu’il donne ont avant tout un caractère pratique. Ce n’est pas lui qui, pour stimuler le zèle des artistes ou pour exalter la dignité de leur rôle, les conviera à l’ambition de rétablir ou de renouveler la morale. Il jugera plus opportun et plus utile de leur rappeler ou de leur indiquer les strictes lois qui les obligent, le but déterminé qu’ils doivent poursuivre et la voie où ils doivent marcher. Aussi les écrits du savant sculpteur, si réservés qu’en soient les termes, comportent-ils pour ceux qui les lisent un profit assuré. Quelques pages du petit traité qu’il a modestement intitulé Idée générale d’un enseignement élémentaire des beaux-arts en apprendront plus à chacun sur la fonction de l’art et sur sa vraie grandeur que toutes les fastueuses prédications de David.

D’ailleurs, tout en prétendant étendre l’empire de l’art, David, en réalité, n’arrive qu’à l’enfermer dans des bornes plus étroites ;

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1876.