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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/458

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n’a jamais permis à ce souhait de se réaliser, ce qui fait que toutes ces reprises ont échoué, l’obstacle dangereux, insurmontable, c’est le poème. Cette musique sublime accolée à ce poème absurde, c’est la vie attachée à la mort. Il faut donc prendre un parti radical, et, si l’on ne veut pas que ceci tue cela, commencer bravement par tuer ceci, en d’autres termes, si l’administration de l’Opéra-Comique a la sérieuse intention de remonter Joseph, elle devra pourvoir avant tout au complet remaniement de la pièce, sans quoi ni M. Talazac, ni Mlle Chevrier, — qui, je suppose, jouera Benjamin, — ni l’orchestre ni la mise en scène ne serviront de rien. Les situations, passe encore, mais ce qui ne peut plus sous aucun prétexte être maintenu, c’est ce dialogue d’une emphase grotesque emprunté à l’ancien mélodrame, et qui, tandis que la musique vise au sublime et l’atteint, semble viser à la parodie, à la cascade ! Il s’agirait tout simplement de faire pour le chef-d’œuvre de Méhul ce que M. Reyer vient de faire pour la Statue. On chargerait M. Jules Barbier de substituer des récitatifs à ce dialogue prudhommesque, et parmi les compositeurs aujourd’hui en évidence il s’en trouverait bien un qui très volontiers se prêterait à ce travail. Et, puisque nous sommes en train de former des vœux, ne nous arrêtons pas en si beau chemin. Qui empêcherait que la partition de Méhul ainsi restaurée fût mise en son vrai cadre, et qu’elle prit alors définitivement sa place dans ce salon d’honneur qu’on appelle notre Académie nationale de musique ? En retour de Joseph, le directeur de l’Opéra donnerait à son confrère de l’Opéra-Comique le Philtre d’Auber, et tout le monde gagnerait à l’échange ; l’Opéra-Comique en s’appropriant pour Mlle Vauchelet un des plus jolis rôles, et l’Opéra en augmentant son fonds d’un chef-d’œuvre classique de l’école française qui offre en plus cet avantage de pouvoir accompagner un ballet sur l’affiche.

Le Théâtre-Italien se prépare, comme on sait, à passer à l’état de théâtre lyrique, il a même déjà commencé sa mue et ressemble pour le moment à ces statues de Daphné dont les pieds s’enfoncent dans la terre et prennent racine, tandis que le torse, les bras, le cou s’enflent et se contournent et que la bouche s’ouvre en pâmoison. A vrai dire, il n’y aurait guère à s’applaudir des décisions récentes si l’exécution en habits noirs de l’ode-symphonie intitulée le Triomphe de la Paix devait inaugurer l’ère nouvelle. L’œuvre de MM. Parodi et Samuel David n’ayant d’ailleurs obtenu qu’une simple mention au concours de composition ouvert par la ville de Paris, chacun pouvait se demander pourquoi on lui décernait ainsi les honneurs d’une exhibition officielle à laquelle M. Godard et M. Théodore Dubois, les lauréats du prix, avaient au moins plus de droit. De telles préférences ne se comprennent que lorsqu’il y a lieu d’en appeler du jugement du jury à l’opinion des gens de goût, et le cas ne présente ici rien de pareil, l’œuvre étant de sa nature absolument ordinaire et n’apportant à la discussion aucune matière