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dans son grand répertoire de la grécité du moyen âge. Au XIIe siècle, alors que les vers politiques, dont Ducange ne prit connaissance qu’au XVIIe pouvaient bien se conserver dans plus d’un cloître, un moine, Godefroy de Viterbe, mit en vers latins, je ne dirai pas le roman d’Apollonius de Tyr, mais les vers politiques du premier traducteur poétique, dont on chercherait en vain le nom. Au XIVe siècle, l’Anglais Gower redonna les hexamètres de Godefroy de Viterbe, sous la forme d’un nouveau poème intitulé : Confessio Amantis. Et deux cents ans plus tard, ô destinée des livres ! Shakspeare, le grand Shakspeare, taillait son drame de Périclès dans les Confessions ou Mémoires d’un amant ; car ceux qui, sur un doute élevé par Schlegel, mais combattu victorieusement par Dryden, voudraient retrancher cette pièce du théâtre du poète, n’ont pas pris garde que la tragédie des amans de Vérone vient peut-être d’une source semblable, d’un roman grec aussi, les Éphésiennes de Xénophon, et que Roméo et Juliette ont remplacé Habrocomos et Anthia, comme Périclès a été substitué à notre Apollonius. Mais dans Gower, Godefroy de Viterbe et l’auteur anonyme des vers politiques je ne vois qu’une paraphrase multiple, plus ou moins variée, c’est-à-dire plus ou moins infidèle de la prose grecque, et c’est à la prose seule qu’il appartient, qu’il est toujours facile de calquer la prose. Voilà donc pourquoi un si grand intérêt, un si haut prix s’attache à notre manuscrit de la Bibliothèque nationale, manuscrit conçu par l’esprit d’un cénobite au Ve siècle, et tracé de la main d’un cénobite au XIVe. Cependant, vers la fin du XVIe siècle, en 1595, à Augsbourg, en Bavière, Welser publia en prose latine le roman d’Apollonius de Tyr, sous ce titre : Narratio eorum quæ contigerunt Apollonio Tyrio.

Si quelque chose pouvait rehausser encore la valeur de notre manuscrit et faire mieux comprendre l’utilité de l’édition véritablement princeps qui a paru en 1856, par mes soins, dans le volume des Romanciers grecs de la collection Didot, ce serait certes de lire le livre imprimé à Augsbourg et de le collationner avec le manuscrit de Paris. Aussi bien Welser a beau déclarer qu’il met au jour Apollonius sur la foi des plus anciens manuscrits, ex membranis vetustissimis, soit qu’il ait retranché ou ajouté de sa grâce, toutes les altérations qu’il introduit défigurent Apollonius et le rendent méconnaissable. Et pourtant, du vivant même de Welser, le monastère de Saint-Uldaric et de Sainte-Afra à Augsbourg offrait de grandes ressources pour l’intelligence comme pour la transcription des anciens monumens littéraires. Et puis dans le même temps la bibliothèque de Constantinople possédait encore, parmi les livres de Manuel Eugénius, un exemplaire grec de l’histoire d’Apollonius, — personnage très éclairé et très courageux qui a lui-même écrit ses aventures, — sans compter que le même ouvrage était aussi inscrit au catalogue de la Bibliothèque impériale de Vienne.