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au milieu des grandes choses qu’il raconte, apprend par les lettres de Villacerf que M. de Langlé a perdu hier dix-huit cents pistoles à labassette et avant-hier deux mille sept cents. Nous sommes toujours au mois de mars 1678, pendant les opérations de la guerre de Flandres. L’historien note ces menus propos et ajoute spirituellement : « Ainsi va le monde sous Louis XIV : la guerre et la politique d’un côté, le jeu et la galanterie de l’autre ; un air de littérature par-dessus tout. La prise de Gand, la bassette, la Princesse de Clèves, voilà ce monde en abrégé. » Des notes comme celle-là font travailler l’esprit et le mettent en garde contre la banalité des admirations convenues. La conclusion que l’auteur en tire n’est pas moins significative : « Celui qui mêle toutes ces choses, ajoute M. Camille Rousset, est l’homme accompli, l’honnête homme, suivant une expression tellement particulière à ce temps-là qu’elle pouvait s’appliquer, par exemple, au maréchal de Luxembourg. Le sens des expressions change avec le temps et les mœurs. Le maréchal de Luxembourg sera toujours un personnage illustre ; on ne mettra jamais en doute qu’il ait été un grand général, un parfait courtisan, bien vu des femmes, spirituel, homme de goût, attentif aux bons ouvrages et presque un écrivain lui-même ; qui oserait dire aujourd’hui que le maréchal de Luxembourg était un honnête homme ? »

Combien de pages encore j’aurais à signaler ! Combien de libres jugemens et de fortes images ! la révocation de l’édit de Nantes, les responsabilités des divers coupables en cet odieux événement, la part de l’opinion publique, le rôle de ce forcené qui s’appelait Foucault, le rôle de Louvois, de Bâville, les sages paroles de tel et tel personnage, oubliés aujourd’hui, tout cela, étudié à neuf d’après les papiers du dépôt de la guerre, offre l’intérêt le plus vif. M. Rousset parle au nom de la raison comme au nom du christianisme. Ses jugemens sont d’autant plus décisifs qu’il ne déclame jamais. Il n’y a ici aucune trace de ce parti-pris qui chez certains écrivains tend à abaisser partout l’ancienne France. Il admire à cœur ouvert ce qu’il faut admirer, et on ne ferme pas ce livre sans en garder une impression de grandeur. Sur l’un des plateaux de la balance, l’auteur a mis les fautes, les excès, les violences, les iniquités, sur l’autre les immenses services rendus à la patrie, et il conclut en exprimant le vœu que le mausolée de Louvois, relégué aujourd’hui dans l’église de l’hôpital de Tonnerre, soit restitué à sa vraie place, en cette église des Invalides où le corps du grand ministre a reposé sept ans et demi avant d’en être expulsé par une misérable vengeance de Louis XIV.

Cette impartialité, ce savoir, ce parfait discernement du vrai et du faux se retrouvent au même degré dans les deux ouvrages que