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mière tête sera tombée ; quand l’abomination de la désolation sera par toute la France ! oh ! alors vous saurez ce que c’est qu’une révolution sociale ; une multitude déchaînée, armée, ivre de vengeance et de fureur ; des piques, dus haches, des sabres nus, des couperets et des marteaux ; la cité morne et silencieuse ; la police aux foyers des familles, les opinions suspectées, les paroles écoutées, les larmes observées, les soupirs comptés, le silence épié ; l’espionnage et les dénonciations ; les réquisitions inexorables, les emprunts forcés et progressifs, le papier-monnaie déprécié ; la guerre civile et l’étranger sur la frontière ; les proconsulats impitoyables, le comité de salut public, un comité suprême au cœur d’airain ; voilà les fruits de la révolution dite démocratique et sociale. Je répudie de toutes mes forces le socialisme, impuissant, immoral, propre seulement à faire des dupes et des escrocs ! Je le déclare, en présence de cette propagande souterraine, de ce sensualisme éhonté, de cette littérature fangeuse, de cette mendicité, de cette hébétude d’esprit et de cœur qui commence à gagner une partie des travailleurs. Je suis pur des folies socialistes !.. »

Ces folies socialistes si minutieusement prédites par Proudhon et dont la commune nous a infligé la honte, Charles Beslay ne s’y associa pas, et cependant les rêveries dont il nourrissait son esprit devaient nécessairement y aboutir ; mais il croyait, — dirai-je le mot ? — niaisement que l’on peut bouleverser une civilisation de fond en comble, sans produire ni désordre, ni douleur. Il était d’une bonne foi imperturbable, il ressemblait à ces trois moines d’un couvent des bords de l’Eiiphrate qui sont partis pour découvrir l’endroit où le soleil se lève ; la légende alFirme que depuis quinze cents ans ils marchent les yeux fixés devant eux, soutenus par une croyance querienn’apuébranler. Beslay était ainsi, et c’est pour cela qu’il repiésente une forme de révolutionnaire très intéressante à étudier. Ce qui l’a éloigné de toute violence, ce qui en a fait, dans plus d’un cas et surtout dans celui de la Banque, un instrument de salut, c’est qu’il était doué d’une bonté inconqxirable. Il était impossible de ne pas l’aimer, ont dit tous ceux qui l’ont connu ; c’était un simple, comme Allix, comme Babick ; tous trois eussent composé un triumvirat animé d’intentions excellentes, mais funestes. Beslay avait une bonté sans limite, sans critique, véritablement extraordinaire et tout à fait intempestive ; un(3 bonté délirante, diraient les aliénistes. Toute sa vie, il a été dupe, dupe des inventeurs, des intrigans, « des victimes du cléricalisme et de la monarchie ; » dupe de ceux qui se moquaient de lui, dupe de ceux qui l’exploitaient. Pourvu qu’on lui demandât, il donnait ; pourvu que l’on parvînt à l’attendrir, et tout l’attendrissait, il fouillait dans sa poche et livrait les