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se relever par une éducation stoïque et une volonté forte. N’oubliez pas, en effet, que le comte de Gisors, fils du maréchal de Belle-Isle, était l’arrière-petit-fils de Fouquet. Le maréchal de Belle-Isle, petit-fils du surintendant, fils d’un homme que la catastrophe de la maison paternelle avait comme anéanti, ne se contenta point de réhabiliter sa famille en méritant les plus hautes charges de l’état, il voulut faire de son fils un modèle de vertu, de savoir, de dévoûment, de patriotisme, il l’éleva comme les enfans de Sparte, en ajoutant à cette préparation virile la vigueur morale des âmes chrétiennes et les grâces de l’ancienne France. C’est ce rare jeune homme qui, frappé à Crevelt à la tête des carabiniers du roi, mourut quelques jours après entre les bras du vainqueur désolé. Le comte de Gisors avait à peine vingt-six ans. Le détail de cette éducation, les voyages du jeune comte, l’éclat de ses débuts militaires, il faut demander tout cela aux sympathiques et précises études de M. Camille Rousset. On y verra en même temps tout un côté inconnu de l’histoire morale du XVIIIe siècle.

Ces pièces si intéressantes, lettres, dépêches, mémoires, documens sans nombre du dépôt de la guerre, M. Camille Rousset n’était plus seulement admis à les consulter comme un chercheur avide, il avait l’honneur d’en être le gardien. Le 1er mai 1864, sur la recommandation de M. Guizot, ou plutôt sous la protection de son Histoire de Louvois, il était entré au ministère de la guerre, où l’on avait rétabli, je ne sais pourquoi, le titre un peu suranné d’historiographe, qui allait être remplacé bientôt par un titre plus moderne. Conservateur des archives de la guerre, c’était le vrai nom de l’emploi pour lequel M. Camille Rousset, on peut le dire, était désigné par avance.

Le voilà donc commis désormais à la garde de ce dépôt dont il vient de révéler les trésors, et cette récompense si pleinement méritée, il la justifie coup sur coup par une série de travaux excellens. Après la Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, il a publié le Comte de Gisors, après le Comte de Gisors, il publie les Volontaires, et la Grande Armée de 1813.

J’ai entendu dire plus d’une fois que M. Camille Rousset, armé comme il l’était de documens irrécusables, aurait dû nous donner une peinture bien autrement vive du mal fait aux armées de la république par le système des volontaires. Il était trop mesuré, disait-on, il épargnait trop la vieille légende et surtout les écrivains qui trompent la France depuis quatre-vingts ans avec cette rhétorique révolutionnaire ; il fallait, l’épée haute et le verbe haut, disperser les écoles menteuses. Je ne saurais pour ma part m’associer à ce reproche. M. Rousset n’a pas voulu opposer scènes à scènes,