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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/615

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des enfans remis en liberté pour un motif ou pour un autre a été de 1,287[1]. En particulier, les envois en correction prononcés contre des enfans prévenus de mendicité ou de vagabondage se sont élevés pour les premiers à 23 contre 222 arrestations, et pour les seconds à 111 contre 844 arrestations. On se demande la raison de cet écart prodigieux, qui n’est pas spécial à l’année 1877 et se reproduit tous les ans dans une proportion à peu près égale. Faut-il en conclure que les enfans arrêtés, puis remis en liberté après une procédure plus ou moins longue, sont d’innocentes victimes des erreurs et de la brutalité des agens ? C’est précisément le contraire qui est vrai. On peut affirmer hardiment que tous ces enfans ont été arrêtés en flagrant délit. Ce n’est pas volontiers en effet qu’un agent se décide à opérer l’arrestation, parfois difficile, toujours pénible d’un enfant. Tantôt celui-ci résiste, s’accroche aux jambes, et il faut employer la violence devant une assistance peu bienveillante ; ou bien au contraire l’enfant s’efforce d’émouvoir par ses pleurs la compassion des passans. — Pourquoi arrêtez-vous cet enfant ? dit l’un d’eux. — Parce qu’il mendie, répond l’agent. — Je n’ai pas mangé, car ma mère est malade, — réplique l’enfant, qui connaît son rôle. Aussitôt les cœurs s’émeuvent, les bourses s’ouvrent, et si l’agent tient bon, on se récriera contre sa dureté. Aussi n’est-ce qu’à bon escient et le plus souvent lorsque le délit, quel qu’il soit, vagabondage, mendicité, vol, ne laisse aucun doute, qu’un agent se décide à mettre la main sur un enfant. Quelles sont donc les causes de ces mises en liberté si nombreuses en présence d’un délit constant et souvent avoué ? Elles sont multiples. D’abord, la préfecture de police ne met, ainsi que je l’ai dit, les enfans à la disposition du parquet que lorsqu’elle ne croit pas possible ou utile de les faire réclamer immédiatement par leur famille. Puis il est excessivement rare que la magistrature donne suite à une instruction lorsque l’enfant est inculpé pour la première fois de mendicité, de vagabondage ou même d’un petit larcin. Sans parler de l’indulgence que les magistrats instructeurs sont toujours disposés à témoigner pour les fautes de l’enfance, ils craignent avec raison qu’une poursuite n’ait pas d’effet utile et n’aboutisse à un acquittement. L’opinion ne s’est pas encore établie en France dans le public ni même chez les tribunaux que mieux vaut pour un enfant une condamnation en apparence sévère, mais qui, étant prononcée contre lui de bonne heure, le soustrairait aux tentations de la rue et à l’influence souvent fâcheuse de la famille, que la prolongation

  1. De ce chiffre, il faut pourtant déduire quelques enfans, en très petit nombre, qui ont été condamnés comme ayant agi avec discernement (art. 67 du code pénal) et qui ne sont pas distingués par la statistique des condamnations.