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les chefs qui ont contribué de leur personne à nos triomphes de 1854, il y a tel homme, véritable héros, modèle d’intrépidité, qui, devenu plus tard maréchal et ministre, contribuera par son incurie administrative à l’écrasement de cette France dont il représentait si bien la bravoure chevaleresque. Tristes légendes, hélas ! éclat payé trop cher ! Si la nécessité de se préparer avait apparu davantage en 1854, il est probable qu’on en aurait tenu plus de compte en 1870.

C’est le récit même de l’historien qui nous suggère ces réflexions. M. Camille Rousset ne s’y arrête pas longtemps, et il a raison ; d’autres questions l’appellent. Une fois la part faite à la justice, en ce qui concerne les ordonnateurs, il faut voir à l’œuvre les combattans. Que d’actions brillantes depuis le départ de Varna jusqu’à la journée d’Inkermann ! Quatre jours avant que les deux armées française et anglaise prissent la mer à Varna, on avait appris que la forteresse de Bomarsund, à l’entrée du golfe de Bothnie, avait été prise en moins de cinq jours par un corps expéditionnaire français de dix mille hommes sous le commandement du général Baraguey-d’Hilliers. Les travaux du génie, dirigés par le général Niel, avaient été ouverts dans la nuit du 11 au 12 août ; le 16, la place avait capitulé. Cette rapidité semblait de bon augure, au moment où l’on se préparait à l’attaque de Sébastopol. Le général Baraguey-d’Hilliers venait de gagner son bâton de maréchal dans la Baltique ; que de récompenses la Mer-Noire promettait à tous ces vaillans hommes, officiers et soldats, lorsque les flottes alliées s’avançaient de conserve le 7 septembre 1854 vers la pointe de la Chersonèse et débarquaient le 14 sur la plage d’Old-fort ! Six jours plus tard, le 20 septembre, le maréchal Saint-Arnaud et lord Raglan, se dirigeant avec leurs armées vers Sébastopol, rencontrent l’armée russe du prince Menchikof sur les hauteurs qui dominent la petite rivière de l’Alma. La bataille s’engage. Il faut en lire le récit chez M. Camille Rousset, il faut suivre sur la carte dressée par les soins de l’auteur toutes les péripéties de la lutte. Ce sont des pages définitives. On y trouve la précision d’un rapport et le mouvement d’un tableau. Et quelles émotions morales à côté des émotions guerrières ! Le chef victorieux se séparant de son armée, le maréchal Saint-Arnaud obligé de résigner le commandement « dont une santé à jamais détruite ne lui permet plus de supporter le poids. » C’est lui-même qui parle ainsi dans ce dernier ordre général où il adresse à l’armée de si touchans adieux : « Soldats, vous me plaindrez, car le malheur qui me frappe est immense. » Il leur annonce en même temps qu’il a remis le commandement au général Canrobert, il déclare que c’est un adoucissement à sa douleur d’avoir pu déposer le drapeau en de telles mains, il recommande à leur respect, à leur dévoûment,