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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/622

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la Petite-Roquette un bambin de cinq ou six ans, tellement petit que pour arriver à saisir ses paroles il fallait le faire monter sur une chaise, qui répondait avec intelligence à toutes les questions, mais qui, toutes les fois qu’on lui demandait son nom ou l’adresse de ses parens, s’enfermait dans un silence obstiné. Peut-être n’avait-il fait que chercher à se soustraire par la fuite à des traitemens inhumains. Je dois dire cependant que cette répugnance à donner leur nom ou l’adresse de leurs parens se retrouve aussi très souvent chez ces vagabonds d’instinct dont je parlais tout à l’heure. On ne saurait s’imaginer la fécondité que des enfans qui n’ont pas dix ans apportent dans leurs inventions, lorsqu’il s’agit d’égarer la police par de faux renseignemens, et la vraisemblance apparente des histoires qu’ils inventent pour dépister les recherches. Faux noms, fausses adresses, fausse nationalité même, tout leur est bon, et lorsque la sagacité persistante de la police vient à démêler cet écheveau embrouillé, on s’aperçoit qu’on se trouve en présence d’un enfant rebelle qui ne s’est proposé d’autre but que de fuir l’école ou l’atelier.

Ne quittons pas ce douloureux sujet des mauvais traitemens exercés contre les enfans sans signaler dans notre législation pénale une insuffisance et une lacune. Les articles 309 et suivans du code pénal qui punissent les coups et blessures d’une peine plus ou moins sévère, suivant les conséquences que ces sévices ont entraînées, ont aussi établi une aggravation de pénalité lorsque les coups et blessures ont été portés par des descendans à leurs ascendans. Mais le code n’a statué par aucune disposition spéciale contre les parens qui maltraiteraient leurs enfans, estimant sans doute, bien qu’à tort, que les sentimens naturels étaient pour la faiblesse des enfans une protection suffisante. Il en résulte que les magistrats, lors même qu’ils se trouvent en présence de quelques-uns de ces faits de cruauté qui révoltent la conscience, ne peuvent pas prononcer contre les parens une condamnation plus sévère que s’ils avaient maltraité un passant dans la rue ; mais ceci n’est rien. Lorsque le père ou la mère ont été condamnés, que deviendra l’enfant ? S’il n’est pas recueilli par un parent ou par un ami, il sera envoyé en dépôt à l’Assistance publique jusqu’à ce que ses parens soient rendus à la liberté, et à cette époque il devra nécessairement être remis entre leurs mains, s’ils le réclament. Aucune disposition de nos lois ne permet en effet de retirer l’exercice de la puissance paternelle au père ou à la mère qui en ont fait un si monstrueux usage, et la malheureuse victime, qui a déjà fait de la barbarie de ses parens une si cruelle expérience, est condamnée à retomber sous leurs coups, enflammés qu’ils seront peut-être par le ressentiment,