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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/645

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les habitans des villages voisins sont obligés de leur donner asile avec de la litière pour les chevaux et de la paille fraîche pour les hommes ; tout est prévu, on le voit. Il avait même été question de donner des rations de pain aux corvéables ; il a fallu y renoncer parce que cette mesure d’humanité coûtait si cher que le salaire d’ouvriers libres eût été moins onéreux.

Le vice, en effet, de ces ateliers de réquisitionnaires est qu’on y travaille mal. Il est bien prescrit de ne faire faire par les corvéables que des mouvemens de terre, des extractions de matériaux, des charrois ; tout ce qui est ouvrage d’art reste confié à des entrepreneurs qui se font aider par des ouvriers spéciaux. La besogne a beau être simplifiée, le paysan la fait avec dégoût. Les défaillans, les mutins sont punis d’amende, de prison, par la seule autorité de l’intendant ou de l’ingénieur, sans autre forme de procès. Les plus malins s’en faisaient exempter ; il n’y avait si petit office, si mince emploi public qui n’obtînt ce privilège ; nouvelle surcharge pour ceux qui ne s’y pouvaient soustraire. Aussi le nombre des jours de corvée varie-t-il beaucoup d’une province à l’autre. Le règlement évalue à trente jours par an cet impôt en nature. C’était excessif ; il paraît certain que plusieurs intendans usèrent plus largement encore du droit qu’on leur donnait de convoquer les corvéables.

Ce qui précède suffit à montrer combien la corvée était lourde pour les habitans des campagnes ; que l’on y ajoute les erreurs dans l’évaluation des tâches ou dans le dénombrement des assujettis, les retards dus à l’intempérie des saisons, même sans doute les exactions des hommes chargés de la surveillance des ateliers, et l’on comprendra que le paysan dut prendre en horreur ce travail des routes dont il avait seul la charge et dont, après tout, le gentilhomme, le citadin, profitaient encore plus que lui.

Les historiens du XVIIIe siècle rendent tous aux intendans cette justice de reconnaître que c’étaient des administrateurs zélés, intelligens, humains lorsque l’exécution des ordres envoyés par l’autorité royale leur permettait de faire acte d’humanité. Quelques-uns s’efforcèrent d’adoucir la charge en la répartissant avec plus d’équité ou bien en réprimant avec sévérité les exactions des subalternes. À Paris, Trudaine et Perronet s’en occupaient aussi, avec d’autant plus de sollicitude qu’ils savaient que le temps des corvéables était souvent gaspillé, et que le profit du gouvernement était loin d’être à proportion de la charge imposée aux cultivateurs. En outre, sans rêver une égale répartition des charges publiques entre toutes les classes de la société, ce qui eût été une utopie à cette époque, ils se demandaient pourquoi l’on ne ferait pas rembourser par les communautés que l’éloignement exemptait de cette réquisition une partie des journées exigées à titre gratuit des communautés