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seuls initiés, et il y a déjà bien des années que tous les quatre ont quitté ce monde. On ignorerait encore ce dramatique épisode si le grave historien n’eût interrogé d’un œil sûr les documens du dépôt de la guerre.

Deux mois plus tard, l’empereur écrivait, non plus au général, mais au maréchal Pélissier, une lettre de félicitations où se trouvent ces paroles : « Je suis bien heureux que, grâce à votre énergie, vous soyez parvenu à un résultat que beaucoup de monde croyait impossible. Après l’échec du 18 juin, je vous l’avoue, j’avais été très irrité contre vous, non à cause de l’échec en lui-même, mais parce que je croyais que les précautions exigées en pareil cas et les principes invariables de la guerre avaient été négligés. Vous avez noblement racheté cette faute, et je reconnais tout ce qu’il vous a fallu déployer de force de caractère pour résister à tous ceux qui commençaient à désespérer. » Que s’est-il donc passé entre la crise du mois de juillet et les félicitations du mois de septembre ? Destitué il y a quelques semaines pour avoir résisté aux ordres du souverain, le souverain le félicite aujourd’hui d’avoir résisté si énergiquement et déployé une telle force de caractère. Ce qui s’est passé, nous le savons tous, mais nous ne le savons qu’à demi si nous n’en lisons pas le détail dans le livre que M. Rousset a intitulé Traktir et Malakof. Les faits inconnus y abondent. On y voit, par exemple, le général Pélissier obligé de protester jusqu’à la fin contre la lassitude et les impatiences des officiers du génie. Ces officiers, si braves dans l’action, sont de plus en plus déconcertés par le caractère de ce siège qui défie toutes les règles. Ils y voient quelque chose de monstrueux. Il y a des jours où, pressentant une catastrophe, ils parlent de lever le siège. Ils n’en parlent pas seulement, ils l’écrivent dans un mémorandum destiné à une conférence des chefs alliés. « Lever le siège ! répond Pélissier dans une lettre au maréchal Vaillant, — voilà un de ces mots qui ne doivent pas être écrits. Non, nous ne serons pas acculés aux impossibilités qu’admettent trop complaisamment les auteurs du mémorandum, et l’excès même de leurs appréhensions me rassure contre leur raisonnement. C’est ici une lutte d’opiniâtreté… » C’était donc sa lutte par excellence, c’était son véritable théâtre. Au mois d’août, le général Canrobert, fatigué, souffrant, mais qui s’obstinait par devoir à garder son poste, fut rappelé par l’empereur. Un ordre seul pouvait dégager sa conscience. Le général de Mac-Mahon, qui commandait alors la province d’Oran, vint prendre sa place dans la tranchée de Malakof. Déjà, un an plus tôt, le maréchal Saint-Arnaud l’avait réclamé avec instance comme « un officier de guerre complet. » Le maréchal Vaillant, annonçant la prochaine arrivée du général, disait : « Il ne demande que d’être là où l’on se bat. » Enfin