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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/699

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l’argent la valeur qu’il a perdue par la force des choses et qu’il perdra de plus en plus, à n’en pas douter. Il ne s’agit pas de le bannir complètement de la circulation, il aura toujours un rôle utile comme monnaie divisionnaire ; mais le rôle principal appartient désormais à la monnaie d’or. Cela est si vrai que tous les emprunts d’états qui se font maintenant sont stipulés remboursables en or, intérêts et capital ; on ne les réaliserait pas autrement à des conditions aussi favorables. Si on reprenait chez nous le monnayage illimité de l’argent, comme le demande M. Cernuschi, sait-on ce qui arriverait? Les nouveaux écus de 5 francs se répandraient forcément dans la circulation, et il faudrait bien les accepter, car on n’aurait plus d’autre monnaie métallique, l’or disparaîtrait et s’en irait à l’étranger; ou plutôt, non, on ne les accepterait pas encore, tant la répugnance est vive à leur endroit. On aurait recours sur une échelle plus grande aux billets de banque, aux chèques, à tout ce qui peut remplacer la monnaie métallique. Je sais bien que ce serait l’idéal aux yeux de certaines gens qui s’étonnent qu’il y ait encore des métaux précieux comme instrumens d’échange, et qu’on ne s’en tienne pas exclusivement au papier. On peut répondre à cela, sans entrer dans une discussion à fond sur la question, qu’avec les métaux précieux, avec ceux surtout qui ne sont pas dépréciés, on a une mesure exacte de la valeur, parce qu’ils sont eux-mêmes une valeur acceptée universellement. Avec la monnaie de papier, qu’on peut multiplier à volonté, on n’en a plus, et on est livré sans frein aucun à tous les excès de la spéculation. Ah ! ceux qui prêchent le retour à la monnaie d’argent ne savent pas ce qu’ils font. Quelques-uns se déclarent les ennemis du papier-monnaie, M. Cernuschi, par exemple, et c’est l’extension de ce papier qu’ils favoriseraient.

Laissons donc les Américains faire tout seuls l’expérience de leur folie, ils gagneront peut-être 40 ou 50 millions par an à payer les intérêts de leur dette en dollars d’argent, mais ils les reperdront bien vite en recevant dans la même monnaie leurs impôts et leurs droits de douane. Et puis, quelle sera leur situation vis-à-vis du dehors lorsqu’ils auront le change défavorable ? On ne réfléchit pas assez à ce côté de la question, quand on adopte une monnaie qui n’est pas celle de tout le monde. C’est cependant le plus important. En définitive, à l’intérieur, si on a une monnaie dépréciée, tous les règlemens se font avec cette monnaie, on paie moins et on reçoit moins, et les choses se compensent à peu près. Il n’en est pas de même avec le dehors. L’étranger n’accepte en paiement pour la balance commerciale que la monnaie qui a cours chez lui, et si cette monnaie est d’or, il faut qu’on lui donne de l’or, ou qu’on supporte la perte qui résulte du change. Cette perte peut s’élever