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d’OIiva avaient tranché les débats qui divisaient la Suède, le Danemark et la Pologne. Il n’existait donc aucune occasion prochaine de guerre. Mais les frontières septentrionales de la France étaient encore bien rapprochées de la capitale. Les étendre de ce côté en se servant, à défaut de droit certain, du prétendu droit de dévolution, tel fut le but de Louis XIV, et, pour l’atteindre, pour parvenir à ses fins sans troubler la paix de l’Europe, il entreprit avec Lionne cette admirable campagne diplomatique, la plus vaste qui ait été imaginée, car elle a eu pour théâtre toutes les chancelleries européennes, la plus heureuse, car elle aboutit à tous les résultats recherchés, la plus surprenante, car elle maintint l’Europe immobile ou impuissante au moment de l’invasion soudaine et de la conquête imprévue d’une partie des Pays-Bas. Jamais, on peut l’affirmer, l’action de la diplomatie n’a mieux préparé l’action des armes. Jamais une plus longue série de victoires diplomatiques n’a précédé et facilité les victoires des généraux.

Par les négociations engagées avec l’Espagne pour obtenir d’elle la révocation de l’acte de renonciation de Marie-Thérèse, la cour de France proclame très haut la nullité de cet acte et amène ses adversaires à admettre la justice et à entrevoir la possibilité d’une révocation. Par les négociations engagées avec la Hollande, c’est-à-dire avec la puissance qui devait le plus redouter une extension des frontières françaises du côté du nord, la cour de France parvient non-seulement à la disposer à souffrir sans empêchement cet agrandissement prochain, mais encore à faire écarter un projet de ligue entre la Hollande et les Pays-Bas espagnols, maintenus ainsi dans un état d’isolement et de faiblesse favorable aux projets de Louis XIV. Par les négociations poursuivies avec l’Angleterre et la Hollande au moment de la guerre maritime qui avait éclaté entre ces deux états, la cour de France réussit à circonscrire cette guerre dans d’étroites limites de lieux et de temps, à empêcher les Espagnols de conclure une alliance avec l’Angleterre, et à lier étroitement à sa politique le Portugal, qui s’oblige à opérer une utile diversion dans la péninsule au moment où la France attaquera la Flandre espagnole. Dans ces négociations multiples et conduites de front avec une égale prudence, il n’est pas malaisé de démêler l’action personnelle du roi et aussi celle de Lionne, même dans des correspondances qui sont toutes écrites de la main de celui-ci. Tandis que l’intervention directe de Louis XIV dans la marche et dans le langage de son ministre se manifeste par certaines formes de style souvent impérieuses et rudes, parfois même blessantes, les allures de Lionne livré à lui-même sont plus lestes, plus dégagées, plus familières. Le premier a en général l’imperatoria brevitas du maître. Le second abuse un peu de sa facilité merveilleuse et de sa connaissance