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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/794

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Il n’est pas inutile de remarquer que parmi les princes d’Allemagne les plus empressés à plaire à Louis XIV se trouvait l’électeur de Brandebourg, ce Frédéric-Guillaume Ier dont le fils devait être le premier roi de Prusse. Mais, à l’époque que nous éludions, ce petit état, qui grandira avec tant de rapidité grâce aux fautes ultérieures de Louis XIV, bornait son ambition à se faire payer au plus haut prix possible ses complaisances par le roi de France[1]. Ayant reçu du roi de Pologne l’investiture du duché de Prusse et ne prévoyant pas alors que l’empereur d’Allemagne accorderait bientôt à son fils le titre de roi[2] et qu’à un progrès si considérable dans la fortune de sa maison correspondrait un notable agrandissement de ses possessions, ce prince s’agitait déjà, mais seulement pour obtenir de Louis XIV des subsides de plus en plus élevés. En toute occasion, il protestait de son dévoûment absolu, et, un jour que l’ambassadeur français mettait ce dévoûment en doute, Frédéric-Guillaume alla jusqu’à verser des larmes. Il finit par s’attacher étroitement par un traité à la politique de la France, traité auquel il fut fidèle tant que durèrent les prospérités de Louis XIV. Ayant reçu de lui un subside de trois cent mille écus, il se montra reconnaissant tant que Louis XIV fut le plus fort et le plus généreux, et nul plus que cet ancêtre des rois de Prusse ne contribua à faciliter à la France l’incorporation de Strasbourg!

De si multiples et de si fécondes relations soigneusement entretenues avec le corps germanique n’empêchaient pas la cour de France de négocier avec l’empereur. Après avoir paralysé son action en Allemagne, déjoué ses menées ou excité ses craintes, le gouvernement français s’adressa à son intérêt en lui proposant un partage éventuel de la monarchie espagnole. Ce partage offrait à Louis XIV et à l’empereur des avantages incertains et subordonnés à la mort de Charles II, et à Louis XIV seul des avantages immédiats et aussitôt appréciables. Les deux compétiteurs en effet, si le traité de partage se réalisait un jour, acquerraient sans trouble et sans guerre

  1. Le 23 décembre 1667, Lionne écrivait à M. Millet, représentant la France à Berlin : « Je ne sais pas si M. l’électeur ne compte point pour lui ce qu’on a donné à Mme sa femme : il n’y a pas encore deux ans que sa majesté envoya à feu Mme l’électrice, qui était alors à Clèves, un régal le plus beau que peut-être jamais roi ait fait à une princesse. Il consistait en un fil de perles acheté à Amsterdam 10,000 écus, et en tout l’ameublement complet d’une chambre qui valait bien 100,000 francs. » — Négociations relatives à la succession d’Espagne, t. Il, p. 303. Lionne annonçait peu de temps après l’envoi d’une somme de 30,000 écus destinée à être destribuée aux ministres et confidens de l’électeur. Toute la correspondance de Brandebourg, qui se trouve aux archives du ministère des affaires étrangères, témoigne de l’avidité cupide de cet ancêtre des rois de Prusse et de la générosité de Louis XIV.
  2. Quand le prince Eugène apprit cette nouvelle, il dit à ceux qui l’entouraient : « Il faudrait pendre les ministres qui ont donné à l’empereur un conseil aussi perfide. »