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ministres pour faire réussir l’intrigue. Le prince Lobkowitz et le prince d’Auersperg (ministres de l’empereur) se veulent gagner le dessus et aspirent à l’honneur de la négociation en se trompant l’un l’autre. Le président des finances agit en Pantalon qui fait bien du bruit pour commencer les levées, mais qui sous main met tout en usage pour ne point débourser d’argent. L’impératrice douairière fait la Colombine, aidant admirablement à l’intrigue, sans en bien savoir le but. Et moi je suis le Trappolin normand qui fait le tout pour bien servir son maitre. Mais vous me permettrez aussi de vous dire que vous faites le Docteur, qui donnera tout le bon succès à la chose par son admirable direction[1]. »

Le traité fut signé, et l’empereur, comme le corps germanique, se trouvait lié à la politique de la France, ou tout au moins maintenu en état d’inaction.


IV.

Des puissances de l’Europe, les unes étaient entrées dans les intérêts et dans l’alliance de la France, les autres, jalouses, mais effrayées, étaient condamnées à la neutralité. Dès lors Louis XIV pouvait rompre impunément la paix du monde et sans rencontrer d’autres adversaires que celui qu’il allait dépouiller. Il envahit la Flandre, conquit la Franche-Comté, et la rapidité de ses coups surprit le monde autant que la modération de ses exigences. Il aurait pu conquérir entièrement les Pays-Bas, ses armées étaient prêtes, et ses généraux le pressaient d’adopter ce parti-Turenne et Condé lui faisaient observer qu’il ne rencontrerait aucun obstacle sérieux, que ni l’Espagne n’avait la possibilité, ni l’Allemagne le désir de défendre les Pays-Bas, que la Hollande adressait des menaces vaines, que l’Angleterre était hors d’état d’agir et la Suède rendue peu redoutable par son habituelle indécision. Comme toujours les généraux opinaient pour la résolution la plus violente; mais Lionne ne partageait pas cet avis. Il représenta que les succès mêmes affaibliraient l’armée du roi en imposant l’obligation de garnisons nombreuses, que la crainte et la jalousie accroîtraient le nombre de ses ennemis, et que, manquant à ses promesses de modération, il perdrait tout crédit en Europe. Ces considérations prévalurent, et Louis XI V consentit au traité d’Aix-la-Chapelle, dans lequel il sut éviter d’alarmer l’Europe par un agrandissement démesuré.

Mais il ne le fit pas sans conserver contre la Hollande un vif ressentiment et sans former dès cette époque le projet de se venger d’elle. Il faut reconnaître que la conduite des Hollandais fut des

  1. Négociations relatives à la succession d’Espagne, t. II, p. 412.