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mon commandant, c’est une ruse, on va tirer sur vous ! — M. Trêve n’hésita pas ; il crut que le signal était loyal, sans doute parce qu’il le désirait passionnément. Plusieurs hommes voulurent l’accompagner, il le leur défendit, et se lança au pas de course vers le pont-levis. Il y eut de l’émotion parmi les soldats qui se préparaient à faire feu si l’appel du drapeau blanc cachait une embuscade. Ces deux hommes, simplement héroïques, le commandant Trêve et M. Ducatel, purent se parler à travers le fossé qui borde les fortifications : — Paris est à vous, criait M. Ducatel ; tout est abandonné, faites entrer les troupes. — Le commandant Trêve, qui a le pied marin, et pour cause, s’aventura sur une poutre du pont-levis tombée en travers du fossé ; comme il avançait avec précaution, il sentit que la poutre oscillait derrière lui, il se retourna et vit le sergent Jules Coutant, du 3e bataillon du 91e de ligne, qui, le doigt sur la détente de son fusil, le suivait pas à pas pour le défendre ou le venger. M. Trêve ne se sentit pas le droit de renvoyer cet homme dévoué qui marchait si courageusement vers le péril, et il continua sa route. Dès qu’il eut franchi le fossé, il alla, en compagnie de M. Ducatel, visiter les bastions 65 et 66, la route militaire, les postes voisins, les maisons riveraines, tout était désert ; on eût dit que la peste ou la terreur avait passé par là. Lorsque le commandant Trêve, le sergent Coûtant, revinrent dans la tranchée, le capitaine de génie Garnier, chef d’attaque, s’empressait déjà de faire jeter sur le fossé un pont par lequel nos troupes pussent faire un mouvement d’ensemble.

Tel est le fait dans toute sa simplicité. Il eut, pour la délivrance de Paris, une importance exceptionnelle ; mais il n’aurait pu se produire si le général Douay, précipitant ses attaques, poussant ses approches avec une extrême énergie, n’avait déjà porté ses tranchées jusqu’au mur de la place, c’est-à-dire jusqu’à portée de la vue et même de la voix. M. Ducatel a donné le signal, M. Trêve l’aperçut et l’armée française put profiter de l’occurrence favorable, grâce seulement aux troupes du 4e corps que le général Douay avait réunies sur ce point à la suite de combats et de cheminemens vigoureusement menés. À 1,800 mètres environ de la porte de Saint-Cloud, au dépôt de la tranchée, se tenait le commandant Berson, ayant à sa disposition un télégraphe correspondant avec le quartier-général du 4e corps, situé à Villeneuve-l’Etang. Le commandant Berson, le commandant Trêve, expédièrent immédiatement des dépêches au général Douay ; celui-ci ne fut pas long à agir. À l’aide des fils télégraphiques qu’il tenait sous sa main, il transmet en moins de dix minutes toutes les instructions nécessaires : aux batteries de Montretout et de Breteuil, ordre de cesser le feu ; à la brigade Gandil, qui bivouaque au pont de Saint-Cloud,