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L’état des rues de Paris, coupées de barricades et sillonnées de coups de fusil, ne permettait pas de convoquer les régens dont, par un hasard singulier, trois demeuraient dans le VIIIe arrondissement où les fédérés et les troupes françaises étaient aux prises. Cependant le danger était pressant, il fallait prendre un parti, car le salut de la Banque était en jeu. M. de Plœuc réunit en consultation les quatre chefs de service : M. Marsaud, secrétaire-général ; M. Chazal, contrôleur ; M. Mignot, caissier principal ; M. de Benque, secrétaire du conseil. Les avis ne furent point unanimes ; un des membres de ce petit conseil estima qu’une lutte engagée à la Banque pourrait faire une diversion heureuse en faveur de la légalité et créer de graves embarras à la commune. Cette opinion ne prévalut point. Qu’était-ce en effet qu’un sacrifice de 500,000 francs en présence des sommes bien autrement considérables que, jusqu’à ce jour, on avait soustraites à la rapacité de la commune ; malgré l’entrée des troupes dans Paris, pourrait-on, en cas de résistance, éviter un envahissement qui serait infailliblement suivi de pillage ! La réponse à cette question était douteuse : il valait mieux céder encore, car l’on était bien réellement contraint et forcé. Le conseil des régens approuverait certainement une détermination que les circonstances mêmes auraient imposée. Pendant que l’on délibérait, Jourde, remué par l’impatience, sentant que le terrain manquait sous ses pieds, était venu à la Banque. On lui donna l’argent qu’il exigeait. Au bas de la réquisition, Charles Beslay écrivit : « La somme de 500,000 francs demandés ci-dessus ont été remis au citoyen Jourde en ma présence. »

Ce même jour, probablement en sortant de la Banque, Jourde se rendit à l’Hôtel de Ville ; il était triste et résolu, il ne partageait point les illusions du groupe socialiste auquel il appartenait ; il savait bien, — il avait peut-être toujours su, — que sa cause était désespérée. Il entra dans le cabinet d’un chef de service administratif et y rencontra l’agent du matériel de l’Hôtel de Ville, le directeur de l’imprimerie nationale, Vaillant, délégué à l’enseignement, et Andrieu, délégué aux services publics. Il faisait chaud, et on avait apporté de la bière. On causait et l’on n’était pas gai ; mais aucun des hommes qui étaient là ne mettait en doute le succès définitif de l’armée française. Andrieu surtout était très soucieux ; il parlait de ses enfans avec émotion, et, montrant l’œil borgne qui le défigurait, il disait avec un sourire plein d’amertume : « Voilà un signe particulier qui me condamne à mort, car il me fera reconnaître partout. — Bah ! dit Jourde, redressant sa haute taille et se plaçant immobile, ferme, le dos appuyé au mur, quand ils me fusilleront, je me tiendrai comme cela. » Ce fait m’a été raconté par