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L’ENFANCE À PARIS.

placé sous la direction des dames de Saint-Thomas de Villeneuve, qui tiennent aussi l’hôpital de l’Enfant-Jésus. On y reçoit les femmes de seize à vingt-cinq ans, et, si cela est nécessaire, avant seize ans. Quelques-unes en sortent pour être placées honorablement, d’autres y restent jusqu’à leur mort, qui se fait rarement attendre, épuisées qu’elles sont déjà par la vie qu’elles ont menée. Celles qui quittent le refuge pour reprendre leur ancienne vie n’y sont jamais admises de nouveau ; mais pareilles défaillances sont très rares, et presque toutes les femmes qui sollicitent leur admission au Bon-Pasteur peuvent être considérées comme sauvées. La maison peut contenir 150 pensionnaires, et elle est toujours pleine. La construction est toute nouvelle, car l’ancienne maison, qui datait de 1819, n’a pas échappé aux fureurs de la commune. Le 23 mai 1871 elle fut envahie par une bande de forcenés qui s’apprêta à y mettre le feu, La supérieure fit évacuer précipitamment la maison, et, pendant qu’elle faisait passer ses pensionnaires une à une par une petite porte étroite, ne voulant, comme un capitaine à son bord, sortir que la dernière, elle voyait l’incendie faire des progrès rapides, et sous ses yeux une de ces bêtes féroces s’efforcer d’enduire de pétrole les vêtemens d’une sœur pour y mettre le feu. Le troupeau, sous la conduite de ses gardiennes, erra deux jours dans Paris, cherchant un asile, et, lorsqu’il fut enfin recueilli dans une maison particulière du faubourg Saint-Germain, pas une brebis ne manquait à l’appel.

Il existe à Clichy un autre refuge, celui de Saint-Anne, tenu par des dominicaines et installé dans un ancien pavillon de chasse où, dit la tradition, Mlle de La Vallière donnait autrefois rendez-vous à Louis XIV. Le refuge de Sainte-Anne n’a qu’un inconvénient, c’est d’être placé en dehors de Paris, et de ne pas offrir un asile facile à trouver aux déterminations subites. Le couvent de Saint-Michel répond à ce besoin. Cet immense établissement est installé depuis 1806 dans un quartier de Paris où la prostitution clandestine sévit beaucoup, en plein quartier latin, à dix minutes de la Closerie des Lilas. Il est dirigé par un ordre dit de Notre-Dame-de-Charité-du-Refuge, dont la fondation remonte à 1641 et que sa règle intérieure oblige à une clôture sévère. L’aspect singulièrement imposant de ce couvent a été très bien décrit par M. Lacaze dans un rapport adressé à l’assemblée nationale. « On entre, dit ce rapport, dans un cloître sévère, aux constructions massives, aux corridors silencieux, fermé à tous les bruits du monde, et où il semble qu’on soit tenté de venir se préparer plutôt à la mort qu’à la vie. L’altitude austère des sœurs dans leurs larges robes de laine blanche, le rigide appareil de la discipline claustrale, une religieuse terreur de la vie future rendue partout présente sur les murailles, tout concourt à frapper fortement les âmes, à imprimer une