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auspices assez sombres. Les plénipotentiaires de l’Europe arrivent en effet dans la capitale allemande au lendemain d’une nouvelle tentative de meurtre qui a été dirigée contre l’empereur Guillaume, qui a blessé assez grièvenienl le vieux souverain, et qui, après avoir eu partout un douloureux retentissement, peut avoir son influence sur la marche des affaires en Allemagne, même peut-être hors de l’Allemagne. Ce sont là les faits d’un ordre bien différent, d’une importance inégale, qui sont toute la politique du moment, qui touchent à tous les intérêts, qui contiennent le secret des prochaines destinées du monde, de la paix extérieure et intérieure pour l’Europe et pour la France elle-même. Que de choses peuvent se cacher et suivent leur cours sous ces dehors éclatans d’une exposition universelle visitée en un seul jour par deux cent mille personnes accourues de toutes les régions du globe, du midi et du nord, de l’occident et de l’orient le plus lointain !

Et d’abord le grand fait qui domine tous les autres, l’événement capital, c’est ce congrès, qui n’est plus seulement un désir ou une espérance, qui est désormais une réalité, Paris a son exposition, Berlin a son congrès définitivement réuni depuis hier, appelé à régler les affaires d’Orient, et la preuve la plus sensible de l’importance que tous les gouvernemens attachent à l’œuvre de ce grand conseil de la diplomatie, c’est l’éclat particulier qu’ils lui donnent par le choix de leurs représentans. M. de Bismarck, qu’une indisposition retenait loin de Berlin depuis quelques semaines et que l’attentat dirigé contre l’empereur Guillaume a brusquement rappelé il y a quelques jours, M. de Bismarck a naturellement la présidence de cette solennelle délibération. Le chancelier d’Allemagne entre ostensiblement aujourd’hui dans ses fonctions de « courtier honnête ; » lui qui n’a jamais cru guère aux congrès et qui les a toujours traités avec une ironie méphistophélique, il préside un congrès, — qui à la vérité se tient à Berlin comme pour rendre plus apparente la prééminence de l’Allemagne ! Le prince Gortchakof, malgré le poids de l’âge et les souffrances qui l’ont éprouvé depuis quelques mois, n’a voulu laisser à personne le soin et l’honneur de parler pour la Russie, et il a pour principal lieutenant l’ambassadeur du tsar à Londres, le comte Schouvalof, qui a visiblement joué un rôle décisif dans les négociations secrètes par lesquelles le congrès est devenu possible. L’Angleterre, de son côté, ne se laisse pas éclipser. Avec son ministre des affaires étrangères, lord Salisbury, et son ambassadeur en Allemagne, lordOdo Russcll, elle a pour premier plénipotentiaire lord Beaconsûeld lui-même, qui est aujourd’hui à Berlin. Dût la tradition parlementaire souffrir de cette dérogation d’une absence momentanée du chef responsable du cabinet, lord Beaconsfield a tenu à couvrir de sa parole devant l’Europe la politique dont il est la brillante et populaire personnification. L’Autriche, à son tour, a en-