Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 27.djvu/956

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
950
REVUE DES DEUX MONDES.

rien de strictement obligatoire. Des réserves ont été faites sur ce point, elles n’avaient même pas besoin d’être faites. Chaque gouvernement garde son indépendance, son droit souverain ; en consentant à soumettre au congrès le traité de San-Stefano tout entier, en acceptant d’entrer en délibération, le cabinet de Saint-Pétersbourg na pas pris l’engagement de souscrire à tout ce qu’on lui proposerait ; il reste libre. D’un autre côté, les questions qui se rattachent à ce traité de San-Stefano sont nombreuses, délicates et compliquées ; elles touchent à tout. Évidemment lord Beaconsfield et lord Salisbury n’ont point renoncé au jugement sévère qu’ils ont plus d’une fois exprimé sur cette œuvre excessive d’une diplomatie conquérante ; ils sont allés à Berlin avec l’intention de poursuivre des modifications sérieuses. Le comte Andrassy va au congrès avec les impressions et les opinions qu’il exprimait ces jours derniers encore devant les délégations autrichiennes. Or dans tout cela, on ne peut se le dissimuler, il s’agit d’une révision profonde des combinaisons russes.

On ne se refusera pas, puisque la question est tranchée par la guerre, à quelques amputations savantes pratiquées sur la Turquie, on voudra tout au moins laisser à ce malheureux empire les moyens de vivre ; on n’acceptera pas cette configuration étrange tracée par les négociateurs de San-Stefano, cette Bulgarie nouvelle qui va à travers les provinces ottomanes jusqu’à la mer Egée, au risque de livrer des populations grecques à une domination bulgare. On ne contestera pas à la Russie le droit de camper provisoirement dans cette principauté de Bulgarie à laquelle elle tient, on lui demandera d’abréger son occupation et de réduire son contingent ; on lui demandera aussi vraisemblablement de borner ses prétentions sur la Bessarabie roumaine, de ne pas aller jusqu’aux bouches du Danube, Si on la laisse s’établir dans le port de Batoum sur la côte d’Arménie, on lui disputera Bayazid, qui lui livrerait la route de la Perse. On s’efforcera de limiter ou de préciser sa prépondérance, de régler de nouveau, si on le peut, la situation de l’Orient. La programme des revendications ou des résistances européennes est connu d’avance ; il est écrit dans les discours, dans les dépêches, dans toutes les communications publiques ou intimes ; il va se produire inévitablement dans le congrès, et c’est là que les incompatibilités peuvent se révéler ou s’accentuer. Elles sont dans la nature des choses, dans l’ordre des complications qui se succèdent en Orient.

Non assurément, rien n’est fini par la réunion d’un congrès, ce congrès fût-il pavé de bonnes intentions. Les difficultés restent immenses ; mais il y a certainement aussi des signes rassurans, tout ce qui peut faire croire à une paix possible, vraisemblable. Lord Beaconsfield n’a pas pu se transporter en Allemagne sans avoir des raisons sérieuses de confiance, sans avoir mesuré les chances d’un dénoûment pacifique ; il