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l’empire ottoman, sans sacrifier les Grecs aux Bulgares, qui se préoccuperont de régler la situation de l’Orient dans la mesure des intérêts généraux de l’Europe. M. Waddington a simplement exposé cette politique devant la chambre, et il a pu partir peu après pour Berlin avec un vote unanime qui fait son autorité dans l’œuvre patriotique qu’il est appelé à poursuivre. Quelques journaux anglais se sont plu récemment à croire que la France, impatiente de sortir de sa neutralité, était à la recherche des alliances, qu’elle avait pu se méprendre au sujet de quelques paroles aimables du prince de Galles, et ils ont pris le soin généreux de nous prémunir une fois de plus contre nos illusions. Ces journaux ne sont peut-être pas heureux dans leurs leçons de sagesse, et après tout ils se trompent. La France n’est point impatiente, elle n’a pas beaucoup d’illusions, elle est sincèrement pour la paix, pour les principes supérieurs de droit public qu’elle peut défendre avec d’autant plus d’autorité qu’elle le fait avec désintéressement, et en cela elle croit franchement n’être inutile ni à l’Europe ni à l’Angleterre elle-même dans ce congrès dont les délibérations deviennent aujourd’hui la première des préoccupations.

Jusqu’à quel point cette œuvre de diplomatie qui commence peut-elle se ressentir des émotions de Berlin et de l’Allemagne, de cette nouvelle tentative d’assassinat qui, encore une fois, vient de mettre en péril la vie de l’empereur Guillaume ? C’est dans tous les cas une coïncidence étrange, et par lui-même, par les circonstances dans lesquelles il s’est produit, cet acte réitéré de perversité homicide semble prendre un caractère particulier de gravité. À peine était-on remis d’un premier attentat et des discussions parlementaires où les mesures proposées par le gouvernement contre le socialisme ont été repoussées, à la veille de la réunion du congrès, le nouveau crime a éclaté en pleine promenade publique. Le premier attentat était l’œuvre d’un ouvrier échauffé par les excitations de démagogie, égaré peut-être aussi par la misère. La tentative récente est l’œuvre d’un homme à demi lettré, à demi instruit, qui a été employé dans un bureau de statistique à Dresde, et qui a même, à ce qu’il paraît, des frères dans l’armée ; elle a été visiblement, elle aussi, conçue et méditée sous l’influence socialiste, elle a été exécutée avec résolution par le docteur Nobiling, — étrange docteur en assassinat ! — et cette fois elle a failli avoir un tragique et fatal dénoûment. L’empereur, qui était seul dans sa voiture, a été atteint au visage, aux bras par des grains de plomb. Sans être frappé d’une manière dangereuse, il a reçu des blessures qui pouvaient aisément s’envenimer et s’aggraver dans un corps d’octogénaire, et qui ont inspiré un moment des inquiétudes. L’empereur Guillaume a souffert assez pour être réduit à une immobilité qui contrarie ses habitudes actives, et pour être obligé de transmettre au prince de la couronne, par une